Notre association, le GNTC, fête ses 80 ans cette année !
Créé, en effet, en 1945 sous le nom de Syndicat national des transports mixtes (SNTM), le GNTC est à la tête d’une déjà longue histoire en faveur du transport combiné, qu’il a accompagné dans sa croissance tout au long des « 30 Glorieuses » puis de la construction européenne et de la mondialisation des échanges de marchandises.
En ce mois de mai, où le GNTC soufflera ces 80 bougies lors d’une soirée spéciale à Paris, votre Combilettre vous propose de revoir ci-après les temps forts de cette histoire, que vous pouvez également découvrir en vidéo par le film « 80 ans de GNTC ».
Une histoire ancienne : le dernier kilomètre du transport des marchandises
Dès l’apparition des chemins de fer, en Europe au milieu du XIXe siècle, se pose la question des parcours d’approche et terminaux des marchandises – nous dirions aujourd’hui le « dernier kilomètre » -, le train ne pouvant sortir de ses rails pour livrer ses clients à domicile.
Maquette d’un portique de transfert de marchandises entre un wagon et un charroi, en service sur le réseau Paris-Orléans en 1858 (Musée du CNAM, Paris)
S’il est vrai que, jusqu’à la Première guerre mondiale, le rail tisse une toile de plus en plus dense, constituant en France un réseau de 70 000 kilomètres (voies normales et réseaux vicinaux à voie étroite) et d’innombrables embranchements particuliers et autres voies portuaires pénétrant au cœur des sites industriels et logistiques, il reste tributaire de la route pour la plupart des « derniers kilomètres », au début par charrettes ou remorques hippomobiles, à partir de 1900 par camions sur pneus. Dans ces schémas, les cargaisons sont transférées d’un mode à l’autre par des manutentions à bras d’homme ou par de petites grues de gares, ce qui est long, coûteux et parfois dommageable aux marchandises.
Pour cette raison, dans les années qui précèdent 1914, certains réseaux commencent à expérimenter le transport de marchandises dans des contenants réutilisables ; ainsi, un service régulier existe entre Paris et Londres pour le transport de petits colis, qui voyagent dans des caisses en bois effectuant leurs parcours d’approche ou final en charettes ou en camions.
La Première guerre mondiale révèle les possibilités du camion
C’est, en effet, le conflit de 1914-18 qui démontre l’extrême souplesse du camion, capable de ravitailler tout point du front à tout instant et avec peu d’infrastructures et de moyens humains. Dans les années qui suivent la guerre, le camion continue sur cette lancée et prend rapidement sa place dans le transport des marchandises, au point que les compagnies ferroviaires elles-mêmes s’approprient ce nouveau venu pour assurer en souplesse leur « dernier kilomètre » : au début des années 1930, elles sont déjà dotées de filiales routières spécialisées comme la STAPO (réseau du PO) ou la SATE (réseau de l’Est).
C’est également à cette époque que commencent les premières expérimentations de transport de camions sur wagons, portées notamment par la société UFR (Union Fer Route) créée à Paris en 1932. L’UFR commercialise ainsi une semi-remorque routière munis d’organes spéciaux peu coûteux et étudiée pour utiliser au mieux le gabarit ferroviaire ; son exploitation commence sur la ligne Paris – Lyon en 1935. Pour partager ces innovations techniques et les rendrent interopérables, mais aussi pour assurer en commun la défense et la promotion de ce qu’on appelle pas encore le « transport combiné », les parties prenantes créent un « groupement technique des transports mixtes ». Mais la Seconde guerre mondiale porte un coup d’arrêt à ces développements.
1945 : création du SNTM pour appréhender un contexte nouveau
En 1945, au sortir du conflit, la démarche est reprise par la création à Paris du Syndicat national des transports mixtes (SNTM) où siègent, pour la première fois, des exploitants de transport routier : c’est pourquoi ce SNTM est considéré comme l’ancêtre du GNTC et le point de départ de notre institution actuelle.
C’est que le contexte d’après-guerre est transformé : la forte croissance économique, la présence en Europe de camions américains et une nouvelle génération d’entrepreneurs dynamisent la création d’entreprises de transport routier de marchandises, obligeant la SNCF, créée en 1938 par fusion et nationalisation des compagnies ferroviaires, à réagir et à concevoir de nouvelles offres.
C’est le sens de la création de sa filiale CNC (Compagnie nationale des Cadres) en 1948, constituée en association avec trois entreprises de transport routier et de groupage, COEXCO (à Lyon), Mutte (à Grenoble) et la SPTG (à Paris). Le projet CNC est clair : offrir un transport de porte à porte de marchandises chargées dans des caisses aptes à emprunter aussi bien le camion que le train. Sous cet angle, on peut regarder la CNC comme le premier opérateur de transport combiné ad hoc constitué en France. Des initiatives du même ordre émergent ailleurs en Europe.
Chargement de caisses CNC par grue sur un camion après un convoyage ferroviaire sur le chantier de Paris-Bercy en 1953
Les camions prennent le train
Dans le même temps, l’idée de transporter des camions sur des trains progresse car, même si les modèles des années 1950 sont encore lents (vitesse d’au mieux 70 km/h) et peu capacitaires (19 tonnes de chargement), ils ont l’avantage d’éviter les transbordements en assurant des liaisons directes et, chargés sur des trains, ils peuvent bénéficier de la vitesse et de la sécurité du rail.
Prenant place au début sur de simples wagons plats à « ranchers », ce qui rend les opérations de chargement longues et difficiles, ils bénéficient bientôt de wagons plats spécialisés de différentes formes, expérimentées par diverses entreprises (comme la Frangeco). C’est l’une d’elles, la STEMA, qui conçoit en 1959 le premier wagon « kangourou », comportant une poche inférieure ou « berceau » destinée à accueillir les essieux routiers des remorques, ce qui permet à l’ensemble de gagner en hauteur. Quelques années plus tard commencent les opérations de manutention de semi-remorques sur wagons par voie verticale, c’est-à-dire au moyen de portiques à pinces de grande portée roulant sur des rails et chevauchant des cours de chargement de grande longueur ; c’est notamment la spécialité de la société Novatrans, constituée en 1967. L’apparition du portique permet des gains considérables de rapidité et de sécurité sur les terminaux.
Tracteur SAVIEM mettant en place une semi-remorque sur un wagon plat, sur un chantier Novatrans dans les années 1960
La révolution du conteneur maritime impacte aussi le combiné
En cette même année 1967, le transport de marchandises connaît une révolution avec l’arrivée en Europe des premiers conteneurs maritimes, inventés aux Etats-Unis au début des années 1950 ; et c’est naturellement que les opérateurs de transport combiné s’adaptent à ce nouveau marché en prenant en charge leur convoyage terrestre par des moyens ferroviaires, au début par simples wagons plats également, plus tard par des wagons porte-conteneurs spéciaux, dotés de chevilles aptes à recevoir ces caisses métalliques dotées de « coins ISO » à chaque angle. En même temps, les caractéristiques standardisées des conteneurs (en trois tailles : 20, 30 ou 40 pieds) et leur capacité à être « gerbés » (empilés sur plusieurs rangs de hauteur dans les terminaux) appellent bientôt des moyens de manutention puissants et rapides : ce sera, là également, le portique, appelé à équiper la plupart des terminaux à partir de la fin des années 1960.
Une autre conséquence de l’arrivée des conteneurs maritimes est l’apparition du transport combiné fluvial, particulièrement bien positionné pour évacuer en masse les conteneurs arrivant dans les ports du Havre (par l’axe Seine), de Dunkerque (par le canal de Dunkerque) et de Marseille-Fos (par l’axe Rhône).
Terminal de Bordeaux-Hourcade, doté de portiques sur rails
La route roulante
Un autre moyen de convoyer le camion par le rail se développe dans les années 60 : la « route roulante », dit également « transport combiné accompagné », ce système consistant à charger le camion et son chauffeur sur des trains de wagons plats, à des fréquences élevées évitant la réservation obligatoire et ne nécessitant pas d’investissement ou de matériel spécial pour les transporteurs routiers. Ce système est mis en service dès 1957 sur l’axe du Gotthard (Suisse) et quelques années plus tard sur l’axe du Fréjus (France – Italie), où il a fonctionné jusqu’au percement du tunnel routier en 1980. La « route roulante » Fribourg (Allemagne) – Novare (Italie), datant de 1968, et le « Shuttle » transmanche (France – Royaume-Uni), datant de 1994, reposent sur le même principe.
Des terminaux plus grands pour une manutention plus performante
Au fur et à mesure que le transport combiné se développe, on assiste à un perfectionnement de la manutention, cette fonction vitale de transbordement des caisses et conteneurs du camion au wagon ou à la barge. Ces opérations, à l’origine assurées de façon « rustique » dans un coin des gares de marchandises SNCF par de petites grues, exigent maintenant des sites spécialisés, dotés d’une vraie desserte routière, d’installations d’accueil et de contrôle des camions, d’espaces de gerbage dédiés, d’enceintes sécurisées et, bien entendu, de portiques performants, assistés de grues mobiles sur pneus, les fameux « reachstakers ». C’est en ce sens qu’apparaissent, à partir des années 1980, de véritables terminaux intermodaux entièrement conçus en intégrant ces fonctions : Paris-Valenton, le premier du genre, ouvre ses portes en 1986, il sera suivi par Bordeaux-Hourcade (2002) et Dijon-Perrigny (2004). Parallèlement, l’essor du combiné fluvial fait rechercher une convergence entre fleuve et rail, c’est ainsi qu’apparaissent des terminaux trimodaux comme Dourges (2003) ou Le Havre LHTE (2015).
Terminal trimodal de Dourges (62)
L’essor européen
Toutes ces innovations techniques se rencontrent également en Europe, où les opérateurs de transport combiné se développent (Trailstar, TRW, Hupac, Kombiverkehr, Cemat, Adria Combi…). A partir du début des années 1990, la construction européenne (marché unique des transports, 1993) et l’unification économique du continent font exploser le transport combiné rail-route : il passe ainsi de 24 milliards de tonnes-kilomètres en 1991 à plus de 100 milliards en 2021. Dans certains pays, le combiné représente aujourd’hui la forme dominante de fret ferroviaire, comme l’Espagne (70%), la Suisse (57%), l’Italie (55%) ou encore l’Allemagne (43%). La France est dans la moyenne, avec un peu plus de 40%.
Le transport combiné, une coopération des secteurs public et privé
L’histoire du transport intermodal de marchandises, c’est aussi l’histoire de coopérations toujours fructueuses, quoique parfois compliquées, entre le secteur public, auquel appartient la quasi-totalité des réseaux ferroviaires en Europe, et le secteur privé, auquel appartient la majorité des transporteurs routiers, y compris ceux qui ont fait très tôt le pari du combiné rail-route. Ces coopérations se sont par exemple traduites par des conventions d’occupation accordées par la SNCF sur ses chantiers à des opérateurs privés, aux fins d’en assurer l’exploitation et notamment la manutention, par des investissements (portiques, autogrues) à leur charge. Durant les 30 dernières années, les acteurs privés ont développé à leur tour leurs propres terminaux intermodaux, en partenariat avec les collectivités locales, comme à Mouguerre (64), Perpignan (66) ou Miramas (13).
Dans les années 2000, ces coopérations ont pris une dimension nouvelle, lorsque le fret ferroviaire a été libéralisé dans le cadre de l’Union européenne (à partir de 2003 en France). Ce nouveau contexte a permis aux opérateurs de transport combiné, par ailleurs de plus en plus nombreux, de choisir différentes entreprises ferroviaires (EF) pour la traction de leurs trains, certains allant même plus loin et se dotant d’EF internes, comme l’ont fait par exemple le groupe Open Modal avec Combirail ou le groupe RLE avec Naviland Cargo. Dans tous les cas, ils peuvent bénéficier depuis 2008 du statut de « candidat autorisé » auprès de SNCF Réseau, c’est-à-dire de la faculté de commander directement les sillons de leurs trains pour les octroyer ensuite à leurs EF tractionnaires. Cette innovation fut permise grâce au travail de sensibilisation du GNTC.
La nécessité d’une représentation professionnelle ad hoc du transport combiné
Associer en permanence les secteurs public et privé, tout comme les transporteurs routiers, les gestionnaires de réseaux massifiés (aujourd’hui SNCF Réseau pour le rail, Voies Navigables de France pour le fluvial), les opérateurs de transport combiné et bientôt les sociétés de services (loueurs de matériels, bureaux d’études), tout cela autour d’un seul objectif commun de défendre et de promouvoir la filière du transport combiné, voilà ce qui a toujours été l’activité du GNTC, qui a pris la relève en 1976 des institutions professionnelles précédentes, SNTM puis SNTC.
La journée annuelle du GNTC à Paris, le 24 octobre dernier : un évènement majeur de l’année professionnelle
Cette nécessité d’une représentation ad hoc s’est également exprimée au niveau européen, avec la création en 1970 de l’Union internationale pour le transport rail-route (UIRR), dont le siège est à Bruxelles. Aujourd’hui, l’UIRR s’est particulièrement investie dans le dialogue avec les institutions de l’Union européenne, une évolution mécanique au fur et à mesure que se renforçaient les compétences de l’UE en matière de réglementation des transports ; l’UIRR est également en étroite liaison avec les représentations nationales comme le GNTC.
Enfin, il faut relever que depuis 2020 le GNTC est étroitement associé à l’Alliance 4F (« Fret Ferroviaire Français du Futur »), cette structure qui fédère les parties prenantes au fret ferroviaire français, dans la perspective du renouveau de cette activité porté par l’Etat : rappelons que ce dernier met en œuvre depuis 2021 une « stratégie nationale » visant à doubler la part du ferroviaire et à tripler celle du combiné, pour tenir les objectifs internationaux de décarbonation. Cette stratégie a motivé la mise en place d’autres outils comme le programme REMOVE (2023) ou le schéma directeur des terminaux (2024). Le GNTC est activement en première ligne sur ces dossiers.
L’histoire continue… quel avenir pour le transport combiné ?
Bien qu’âgé de 80 ans, le transport combiné est donc toujours regardé comme une solution d’avenir, en premier lieu au regard des défis climatiques et environnementaux du siècle. Ceci étant, nul doute que ces 80 ans de mutations vont se poursuivre, car le transport combiné doit relever de nouveaux défis : continuer sans relâche sa course à la performance opérationnelle et à la résilience, rebâtir une offre plus dense en France et en Europe, répondre au défi du transport des semi-remorques non préhensibles et du gabarit P400, intégrer les nouvelles technologies numériques et énergétiques… souhaitons-lui donc « bonne route » !