Par Stéphane BLANCHER, COSTE FERMON
La volonté de transports plus verts a conduit à une expansion des UTI, ce qui a facilité le développement du transport combiné qui met en relation différents modes de transport pour une même marchandise.
Pour les assureurs, tout l’enjeu du transport combiné est de savoir qui est responsable des dommages causés à la marchandise, donc de connaître le lieu de survenance du dommage et le régime applicable.
Souvent, en transport combiné, le lieu du dommage est inconnu. Se pose alors la difficulté de savoir qui est responsable des dommages. Ici commence une bataille entre les différents acteurs pour se dégager de leur responsabilité.
Définitions
Le transport combiné est défini par la Directive 92/106/CEE comme « le transport de marchandises entre États membres dans lequel la route n’est utilisée que sur le parcours initial ou final, le parcours principal s’effectuant par chemin de fer, voie navigable ou mer ».
Dans le cadre de ce dossier pour le GNTC, nous nous intéresserons uniquement au transport combiné national rail-route et fluvial-route.
Le transport combiné international
Lors d’un transport combiné international, la Convention CMR est applicable dès lors que le dommage survient lors du transport par route. Si le dommage survient pendant la phase ferroviaire ou maritime, on applique le régime propre au mode de transport. Si l’on ne parvient pas à déterminer pendant quelle phase du transport les dommages sont survenus, la Convention CMR s’applique. Il est similaire au régime du transporteur multimodal appelé système « réseau » ou « network ».
Les règles étant clairement établies, la pratique ne rencontre pas de difficulté quant à l’application de la législation.
Le transport combiné national
Sur le plan national, la pratique est toute autre. Les acteurs du transport combiné doivent faire face à une juxtaposition des règles de droit, leur silence et leur manque de clarté. Cela amène les acteurs à se poser de multiples questions dès lors que des dommages à la marchandise surviennent. Entre les conditions générales, le contrat-type, le Code des transports et la législation européenne, les sources juridiques ne manquent pas, à tel point que la pratique ne s’y retrouve plus. On se retrouve avec des solutions de règlements de litiges très variées.
Les rapports entre le transporteur routier et le ferrouteur sont régis par les conditions générales de ce dernier. Les conditions générales ont vocation à régir les rapports contractuels qui se nouent entre les parties. L’article 1119 du C. civ. régit leur application et prévoit : « Les conditions générales invoquées par une partie n’ont d’effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées ». À défaut de communication, les conditions générales n’entrent pas dans le champ contractuel. L’article L. 441-1, II, al. 1 C. com. prévoit que les conditions générales, lorsqu’elles sont établies, doivent alors être communiquées par « tout moyen constituant un support durable ». La notion de support durable a été définie depuis l’ordonnance no 2021-1734 du 22 décembre 2021 par l’article liminaire 8° comme « tout instrument permettant au consommateur ou au professionnel de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement, afin de pouvoir s’y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et qui permet la reproduction à l’identique des informations stockées ». Cette définition est celle donnée par la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 (art. 2-10).
Jurisprudences diverses
Cependant, la question de l’opposabilité des conditions générales reste épineuse, notamment sur la preuve de la communication, la connaissance du cocontractant et leur acceptation malgré les nombreuses jurisprudences en la matière.
La Cour de cassation (19 févr. 2013, no 11-22.827) a jugé que l’acceptation des conditions générales peut être tacite. La jurisprudence a une appréciation généralement extensive des conditions de l’acceptation. La Cour de cassation (13 févr. 2019, no 18-11.609) a accepté la validité des conditions générales fondée sur l’ancienneté des relations commerciales et la présence des CGV au verso des factures.
La Cour d’appel de Douai (14 sept. 2017, no 16/04489) a admis l’opposabilité des conditions générales du seul fait de leur communication. Mais, la Cour d’appel de Paris (29 sept. 2017, no 16/03370) a jugé « qu’il ne suffit pas de soutenir que les conditions générales sont le socle de la négociation commerciale pour justifier de leur opposabilité lorsqu’elles n’ont pas été signées, et que leur transmission effective n’est pas démontrée ».
La Cour de cassation (2 juin 2015, no 14-11.014) a admis que la signature du recto d’un bon de commande qui est précédée d’une référence aux conditions générales figurant au verso suffit à établir l’acceptation de ces conditions générales même en l’absence de toute clause d’acceptation expresse. La Cour de cassation (16 mars 2022, no 20-22.269) a refusé d’admettre l’opposabilité des conditions générales lorsqu’elles figurent au verso des factures en caractères minuscules et illisibles.
De plus, la Cour d’appel de Versailles (3 mai 2016, no 15/02478) a écarté des conditions générales dès lors que le document signé n’y faisait référence que de manière accessoire. La référence aux conditions générales doit être suffisamment précise.
Cette preuve de la connaissance des conditions générales peut être essentielle quant à la détermination du régime applicable.
Le transport combiné ne fait pas l’objet d’un contrat-type spécifique. Cependant, l’article 1er du contrat-type général de 2017 prévoit que « Quelle que soit la technique de transport utilisée, ce contrat règle les relations du donneur d’ordre et du transporteur public routier ou des transporteurs publics intervenant successivement dans le transport de l’envoi ainsi que les relations de ces transporteurs publics entre eux ». Or, l’article 1er du contrat-type citerne de 2025 exclut la mention de « transport public routier ». L’absence de cette mention dans le contrat-type citerne, et la mention « quelle que soit la technique de transport utilisée » nous amène à nous questionner s’il n’y a pas une volonté d’étendre le champ d’application du contrat-type. En effet, une lecture littérale conduit à comprendre : qu’à défaut de convention entre les parties ou si la convention fait référence aux contrats-types, le contrat-type correspondant à l’opération litigieuse s’applique. Agathe Gaudefroy, rédactrice pour Le Bulletin des Transports et de la Logistique, dans le numéro 4021 du 26 mai 2025, va dans ce sens et considère que le contrat-type est applicable au transport combiné.
Cependant, la pratique n’a pas encore pris cette voie.
Les assureurs s’adaptent et proposent, pour certains, des garanties spécifiques au ferroutage. L’objectif est d’établir une garantie lorsque la marchandise fait l’objet d’un transport combiné. Cette garantie est étendue à l’activité de transport public de marchandises lorsque les marchandises chargées sur un véhicule de transport routier ou dans une caisse mobile sont acheminées par voie ferroviaire sur wagon, après un préacheminement routier.
Le Document de transport combiné
Face à ces difficultés rencontrées par les acteurs du transport combiné, des solutions peuvent être mises en place telles que le document de transport combiné, le connaissement de transport combiné, ou la création d’un contrat-type.
Du fait de la multitude de modes de transport successifs dans le transport combiné, il peut y avoir tout autant de documents de transport et donc de complexité. On peut s’interroger sur la pertinence de cette multiplicité de documents.
De ce fait, un document unique couvrant l’entièreté du transport s’avérerait utile. Il a alors été envisagé de mettre en place un document unique : le document de transport combiné. Il est émis par un entrepreneur de transport combiné. Les Règles CNUCED/CCI applicables au document de transport multimodal du 1er janvier 1992 forment un socle pour l’établissement de ce document. Ces règles sont d’ordre contractuel, elles résultent de leur mention dans un contrat de transport multimodal. Le document de transport combiné est une preuve de ce contrat.
Le connaissement de transport combiné
Dans le même genre, le connaissement de transport combiné ou multimodal est un document de transport émis par un entrepreneur de transport combiné. Il permet de regrouper, en un seul contrat et sous un seul régime juridique, les phases de transports successives de bout en bout. Le contrat est passé entre le transporteur et le chargeur.
Ainsi, le transporteur émettant le connaissement est responsable de l’intégralité du transport. Il est effectué en son nom et sous sa responsabilité. Il peut effectuer lui-même le transport ou le sous-traiter.
Le contrat-type en transport combiné ?
À l’image des contrats-types en droit routier national, la création d’un contrat-type transport combiné poserait un cadre législatif et serait applicable en cas d’absence ou dans le silence des parties. Il poserait un cadre autour du régime de responsabilité applicable ainsi que des limitations de responsabilité. De ce fait, la question de qui est responsable des dommages à la marchandise serait résolue ainsi que celle des limitations applicables.