Nos lecteurs le savent (cf. Combilettre n°27), ce premier semestre a été marqué par la tenue de la Conférence voulue par le Gouvernement sur le financement des transports.
Le Président de cette instance, M. Dominique BUSSEREAU, ayant rendu son rapport final le 8 juillet, et le Ministre M. Philippe TABAROT ayant annoncé le lendemain ses lignes d’action sur cette problématique fortement stratégique pour l’avenir du combiné, nous vous proposons une synthèse des travaux accomplis et des perspectives qu’on peut raisonnablement en prévoir. C’est l’objet de ce Dossier du mois.
Qu’est-ce que la Conférence Ambition France Transports ?
Annoncée par le Premier ministre François BAYROU au début de l’année, dans le sillage de l’adoption du budget 2025, cette conférence a pour but de réfléchir au financement des transports et de la mobilité en France, au regard d’un défi prégnant et complexe : comment continuer à développer nos réseaux de transport de voyageurs et de marchandises et assurer leur décarbonation alors que les ressources financières publiques se tarissent ?
Baptisée « Ambition France Transport », la conférence se voit plus précisément fixer huit objectifs majeurs, comme indiqué dans l’illustration ci-dessous.
Une conférence largement ouverte
Pour traiter de ces sujets, le choix d’une telle « conférence » n’a pas été innocent : le Gouvernement a en effet souhaité une transparence et un partage des plus larges possibles, de façon à ce que ses futurs choix soient compris et acceptés par le plus grand nombre, y compris les citoyens qui sont à la fois financeurs et usagers des transports.
C’est pourquoi la conférence a réuni une soixantaine d’experts des mobilités, parlementaires, élus locaux ou représentants de fédérations professionnelles ou d’usagers ; elle s’est également voulue ouverte à toutes les contributions (les parties prenantes ont été invitées à les télécharger sur un site web dédié, ce que le GNTC a fait dans le cadre de l’Alliance 4F ; plus de 200 contributions ont ainsi été reçues) et a procédé à plus de 110 auditions, entre son ouverture officielle à Marseille le 5 mai dernier et sa clôture le 8 juillet.
Pour présider ces travaux, le Gouvernement a en outre voulu mobiliser une figure incontestée des transports en la personne de M. Dominique BUSSEREAU, qui fut notamment secrétaire d’Etat aux transports (2002-2004), en plus de ses diverses responsabilités électives (député et Président du département de Charente-Maritime, maire de St-Georges-de-Didonne). La conférence a été supervisée par le ministre chargé des transports, M. Philippe TABAROT, ainsi que ses services, principalement la Direction générale des infrastructures de transport et de la mobilité (DGITM).
Au début de la conférence, M. BUSSEREAU a organisé les travaux suivant 4 ateliers ainsi intitulés :
- Modèle économique des autorités organisatrices des mobilités (AOM) et des services express régionaux métropolitains (SERM) ;
- Avenir des infrastructures routières ;
- Infrastructures et services ferroviaires de voyageurs ;
- Report modal et transports de marchandises.
Il a été décidé que chaque atelier serait piloté par un « binôme » réunissant un Parlementaire et un Expert ; pour le 4e atelier, qui concerne directement le transport combiné, ce binôme était composé de M. Gérard LESEUL, député, et de Mme Corinne BLANQUART, vice-Présidente de l’université Gustave-Eiffel et spécialiste de l’économie des transports et des territoires.
Le diagnostic de la Conférence : prioriser les investissements sur les réseaux existants…
La première partie du diagnostic porté par la conférence n’est pas une surprise : les réseaux actuels de transport en France souffrent depuis des années d’un manque d’investissements, et ce défaut s’est aggravé ces dernières années, aussi bien pour le réseau routier national non concédé (« RRN ») que le réseau ferré et le réseau fluvial. Le graphique ci-dessous résume cette situation en comparant l’effort d’investissement constaté en 2024 et les besoins annuels moyennés sur la période 2026-2032.
Plus spécifiquement pour le fret ferroviaire, dont on attend un doublement d’ici 10 ans suivant la stratégie nationale de l’Etat en matière de transport de marchandises et de décarbonation, la conférence a repris les travaux de la démarche Ulysse Fret identifiant et chiffrant les investissements d’infrastructures nécessaires à cette ambition :
Si les besoins en matière ferroviaire (4,2 milliards d’euros par an, auxquels s’ajoutent 500 millions pour le seul fret) et fluviale (400 millions) sont ainsi bien identifiés, ceux afférents au réseau routier (1,7 milliard) le sont tout autant, au regard d’une situation patrimoniale qui se dégrade et que la conférence a rappelé : ainsi, un tiers des ponts routiers sont sous surveillance en raison de leur mauvais état.
Pour l’ensemble de ces réseaux, la conférence a également montré son inquiétude sur les « dettes grises » (ou « invisibles ») : les sous-investissements produisant de l’obsolescence technique de plus en plus difficile à corriger, ils imposent au bout d’un moment de régénérer en profondeur l’équipement, et donc des investissements et de nouvelles dépenses non budgétées.
En outre, ce sous-investissement est préoccupant en ce qu’il gêne le déploiement de programmes de modernisation massifs, comme les CCR ou l’ERTMS dans le ferroviaire ou le déploiement des infrastructures de recharge électrique dans le routier. Ces modernisations sont cependant indispensables pour améliorer la performance du ferroviaire et la transition écologique du routier, deux leviers majeurs de la décarbonation des transports voulue par la stratégie nationale « bas carbone » (SNBC).
Au final, la conférence pointe l’ardente nécessité d’augmenter ces efforts d’investissements, à hauteur de 3 milliards d’euros par an sur la période 2026 – 2031.
…mais également augmenter l’offre voyageurs…
Parallèlement, la conférence a souhaité se pencher sur les nouveaux enjeux de la mobilité des personnes, qui sont de renforcer l’offre en transports publics entre les centres et les périphéries ainsi qu’au sein des périphéries, en alternative au tout automobile encore très prégnant dans ces territoires.
…tout en continuant de créer de nouvelles infrastructures avec modération
La conférence a également voulu se prononcer sur l’enjeu des nouvelles infrastructures de transport, dont un tableau complet est disponible dans le dernier rapport du Conseil d’Orientation des Infrastructures (COI) en 2024. Ces projets, principalement ferroviaires, entraînent un besoin de financement supplémentaire entre 2 et 5 milliards d’euros par an sur la période 2026-2031, une perspective peu réaliste à ses yeux au regard de la situation des finances publiques.
En conséquence de la priorité énoncée plus haut en matière de régénération et de modernisation des réseaux existants, pour laquelle elle redoute un effet d’éviction, la conférence recommande d’être très vigilant sur le bien-fondé de ces projets. De façon constructive, elle met en avant un outil original conçu par son 3e atelier : cet outil, baptisé « Ferroscope », se veut une aide à la décision des projets de régénération, de modernisation et de développement combinant différents critères (sécurité, vétusté, qualité de service, résilience au changement climatique, potentiel de préservation ou de développement des trafics ou encore potentiel d’économie sur les coûts d’exploitation).
Pour faire face à toutes ces dépenses, la conférence a orienté ses travaux suivant deux échelles de temps : le court terme et le moyen terme – ce dernier basé sur l’opportunité de réorganiser le financement du système autoroutier français à partir de 2031.
Les solutions de financement à court terme : différents contributeurs, un cadre pluriannuel
La conférence recommande de mobiliser à cet horizon différents leviers :
- améliorer la performance des infrastructures et des services : l’idée est de générer des économies à coût constant, ce qui permettrait de dégager des ressources nouvelles. Le rapport indique, par exemple, que réduire de 30% les coûts d’exploitation du ferroviaire représente 1,2 milliard d’économies.
- mettre davantage à contribution certains usagers et clients : si la conférence n’a pas été consensuelle sur l’idée de taxer les billets de TGV, elle a mieux convergé sur la nécessité de revoir à la hausse la contribution des usagers au financement des transports collectifs et d’amplifier la contribution des poids lourds au financement du réseau routier, dans le cadre des écotaxes actuellement en expérimentation dans certaines régions (Alsace et Grand Est) ou dans des majorations ciblées de péages sur des autoroutes concédées souffrant de congestions. On note également l’idée de faire contribuer les chargeurs aux dépenses d’électrification du système routier, dans certaines limites.
- sécuriser les financements de l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFITF), cette entité de l’Etat qui abonde, parfois de façon substantielle, les projets d’infrastructures de transport, moyennant des ressources fiscales provenant des modes carbonés comme la TICPE.
- instaurer un cadre légal stable et prévisible, à travers une loi de programmation pluriannuelle des infrastructures de transport sécurisant à la fois les ressources et les dépenses et assurant la visibilité des projets, notamment de régénération.
A plus long terme : profiter de la fin historique des concessions autoroutières
On le sait, le réseau autoroutier français s’est développé depuis le milieu du XXe siècle sur le mode concessif, à quelques exceptions près. Ce choix a permis de développer un réseau étendu et de bonne qualité technique.
Mais la prochaine décennie sera marquée par la fin de ces concessions historiques, entre 2031 et 2036 : si les péages sont maintenus à leur niveau actuel, ce sont donc 2,5 milliards d’euros par an à partir de 2037 qui pourraient être récupérés en faveur de l’investissement dans les transports.
La conférence a donc voulu faire de ce levier un objet particulier de propositions. Elle recommande ainsi de maintenir les péages à un niveau proche de l’actuel et d’affecter cette manne en priorité à la régénération et la modernisation des réseaux routiers nationaux non concédés, ferroviaires et fluviaux.
Les annonces du Gouvernement
Le rapport conclusif de la conférence ayant été remis par M. BUSSEREAU au Ministre, ce dernier a tenu le 9 juillet un discours de réception contenant de premières annonces, parmi lesquelles on retient les points saillants suivants.
TABAROT a d’abord voulu indiquer les lignes fortes de son action :
- nécessité d’une plus grande lisibilité de l’action publique et d’une programmation claire des investissements ;
- priorité accordée à la modernisation et à la régénération des réseaux existants ;
- nécessaire mobilisation des financements privés, pour financer les transports de demain.
Le Ministre a ensuite rappelé les deux impératifs devant guider les choix publics :
- impératif écologique, lié au fait que les transports demeurent la première activité émettrice de gaz à effet de serre (34% du total français) et surtout la seule qui ne se soit pas améliorée sur ce point depuis 30 ans ;
- impératif budgétaire, car les transports doivent participer à l’effort de réduction du déficit budgétaire visant un retour à 3% du PIB en 2029.
En conséquence, M. TABAROT a annoncé la prochaine présentation au Parlement d’une loi-cadre qui pourrait acter :
- le maintien des péages autoroutiers dans un nouveau cadre concessif ;
- le fléchage de la totalité de ces futures recettes de péage vers les investissements dans les transports ;
- la priorité accordée à la régénération et à la modernisation des réseaux existants ;
- la programmation précise des investissements, permise par des ressources désormais « gravées dans le marbre » à commencer par les 1,5 milliards d’euros supplémentaires pour le ferroviaire à partir de 2028.
Le Ministre a ajouté ces précisions :
- ces choix vont mobiliser tous les acteurs et découleront d’un triple effort financier : celui de la SNCF, dont le « fonds de concours » sera mobilisé (pour rappel, il s’agit de la part des profits du Groupe SNCF qui sont réinvestis directement dans le réseau ferré) ; celui du secteur privé, qui sera mis à contribution pour certains investissements via les partenariats public-privés (PPP) ; celui de l’Etat enfin, qui est prêt à ouvrir de nouveaux leviers comme les certificats d’économie d’énergie (CEE) en faveur de certains investissements comme le renouvellement des caténaires.
- concernant le fret ferroviaire, le plan Ulysse Fret reste la ligne stratégique d’investissement de l’Etat et sera financé notamment par les ressources de l’AFITF qui seront sécurisées, dans la lignée des recommandations du rapport.
- la contribution des chargeurs à l’effort d’électrification du transport routier sera proposée au Parlement.
Au final, des perspectives encourageantes… mais tout reste à faire
Dans un communiqué publié le 9 juillet, l’Alliance 4F, dont le GNTC fait partie, s’est félicité à la fois du rapport final de la conférence et des orientations prises par le Ministre ; en faveur du fret ferroviaire et du combiné, l’Alliance discerne en particulier 5 avancées positives :
- la réaffirmation du programme « Ulysse Fret », dont il convient maintenant de sécuriser le financement ;
- l’adoption d’une loi cadre, revendication ancienne de notre filière et qui serait concrétisée pour la première fois ;
- l’ouverture à des dispositifs de cofinancement public/privé, pour accélérer le déploiement de projets stratégiques (plateformes multimodales, contournements ferroviaires) ;
- la mobilisation des CEE dédiés au fret ferroviaire, notamment pour consolider les dispositifs d’encouragement du report modal existants et accompagner l’achat ou la location de matériels ferroviaires plus sobres énergétiquement ;
- la priorité accordée aux implantations des chargeurs et logisticiens dans des zones mobilisant les modes massifiés, engagés dans la décarbonation.
Ceci étant, une fois posé ce cadre d’actions, l’Alliance 4F ne cache pas que tout reste à faire pour transformer ces intentions ; ce sera le défi des prochains mois et années, à commencer par la préparation du projet de loi de finances 2026 comme premier jalon de cette Ambition Transport pour demain.