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Les coûts externes des transports : entre théorie et pratique, l’avantage du transport combiné

Le transport combiné offre de nombreux avantages, parmi lesquels il est courant de citer la relative faiblesse de ses coûts externes, comparés au mode dominant du transport de marchandises qu’est la route. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Comment détermine-t-on ces coûts externes, et que recouvrent-ils ? en quoi consiste cette fameuse « internalisation » des coûts externes ? quelles sont les implications de cette théorie pour la politique des transports ? Notre « dossier du mois » vous propose une visite synthétique de ces principaux sujets.

Petite définition préliminaire

De façon générale, en économie, les coûts externes sont les coûts non pris en compte dans la définition des prix de marché, mais supportés par d’autres acteurs.

Ainsi, dans une ville, si la construction d’un nouvel immeuble vient obstruer la vue sur le paysage dont jouissaient des habitants, ceux-ci supportent donc un coût externe (la perte de leur vue) qui n’est pas supporté par les habitants du nouvel immeuble. Autre exemple, dans une entreprise, le fait de licencier une personne revient à externaliser le coût de son entretien sur la collectivité ou la société prises dans leur globalité. Certains économistes parlent de « diséconomie » externe ou de « déséconomie » externe. Notons d’ailleurs qu’en miroir de ces coûts externes, il existe des bénéfices externes, par exemple l’augmentation de la valeur d’un bien immobilier consécutivement à la construction d’une route.

Cette rapide définition laisse d’emblée entrevoir un des enjeux de la connaissance des coûts externes, celui de leur récupération ou de leur « internalisation », à la source d’intenses débats politiques comme on le verra plus loin.

Les transports et leurs coûts externes

Beaucoup d’activités économiques, à côté de leurs effets positifs, génèrent des coûts externes, par exemple le transport, aussi bien de voyageurs que de marchandises. Le transport crée en effet des nuisances, aussi appelées externalités négatives, qui dégradent les conditions de vie et génèrent ainsi un ensemble de coûts pour la collectivité. Il s’agit principalement des pollutions atmosphériques et sonores, des émissions de gaz à effet de serre (GES), de l’insécurité, de la congestion ou encore de la consommation d’espaces naturels.

Les coûts de ces externalités varient selon les modes de transport et, à l’intérieur des modes, selon, par exemple, le type de motorisation. Ils dépendent de « valeurs tutélaires » qui représentent, de manière conventionnelle et monétisée, l’importance que la collectivité accorde à ces nuisances, comme on le verra plus loin.

Les coûts externes du transport de marchandises en Europe et en France sont assez bien connus

C’est dans les années 70-80 que les coûts externes des transports ont commencé d’être identifiés à la fois par la recherche scientifique et les décideurs politiques. En 1991, Pierre Merlin, un des spécialistes français, les chiffrait à 200 milliards de francs à l’époque. En 1994 et en 2001, un autre expert, Marcel Boiteux, apportait des avancées de méthode importantes en matière de calcul des coûts.

En 2008, la Commission européenne avait procédé à une première (et vaste) étude sur les coûts externes des transports dans l’Union, de façon à disposer d’un éclairage scientifique et d’une base à ses orientations stratégiques en matière de transports. Cette étude (Handbook on the external costs of transports, cf. bibliographie, à la fin de ce dossier), réalisée par le cabinet néerlandais CE Delft, a été ensuite mise à jour en 2019, avec des chiffres de 2016.

Selon ceux-ci, les coûts externes des transports dans l’Union (Royaume-Uni inclus) atteignaient 987 milliards d’euros, dont 29% étaient dus aux accidents, 27% à la congestion des réseaux et aux pertes de temps qu’elle entraîne, 14% aux émissions de GES et à leurs conséquences (pollution de l’air et changement climatique), 7% au bruit et 4% aux nuisances sur l’habitat et les milieux naturels (cf. schéma ci-dessous). Ces 987 milliards représentent presque 7% du PIB de l’UE, une somme considérable, qui serait même 5% plus élevée en prenant en compte les transports « du puits à la pompe », c’est-à-dire en intégrant les coûts externes des facteurs de production en amont et en aval des transports proprement dits (par exemple : en intégrant la fabrication, le transport et la distribution du carburant nécessaire à ces transports ou la fabrication des véhicules de transport). Ces coûts externes européens sont imputables à 83% aux transports routiers (véhicules particuliers et camions).

Cette étude fournit également le détail pour chaque Etat membre ; pour la France, les coûts externes se montaient à 111 milliards d’euros, soit 5,5% du PIB. En suivant ce dernier indicateur, le pays le plus « vertueux » est la Finlande (4,4%) et le moins « vertueux » est le Luxembourg (7%).

De plus, on apprend que ces coûts sont imputables pour 69% au transport de voyageurs et pour 31% au transport de marchandises.

En dépit de ses inévitables limites méthodologiques (certains sujets ne sont pas traités ou estimés de façon très grossière faute de données comme les coûts de congestion des modes autres que routiers ou bien la pollution causée par les transports maritime ou aérien), l’étude a été saluée pour son sérieux et sa fiabilité par la communauté scientifique et les experts des transports.

Les actions publiques en conséquence de ces analyses

Quelles que soient leur méthodologie et leur résultats, ces différentes études génèrent des débats autour d’une simple question : si ces coûts sont externes, comment, dans un esprit de justice économique, les « internaliser », c’est-à-dire faire en sorte que les prix du marché en tiennent compte et produisent la bonne information économique au consommateur et aux usagers ?

Il faut ici souligner la complexité de la question et également son ampleur : les nuisances sonores ont un impact sur la qualité de vie mais également, via le stress ou le mal-être, sur l’espérance de vie ; la pollution atmosphérique altère également celle-ci et provoque des maladies respiratoires dont le traitement pèse sur le système de santé et l’économie du pays (arrêts de travail). Les coûts externes peuvent ainsi entraîner des coûts directs sur d’autres marchés économiques comme la santé.

Pour les transports, cette question se pose tout particulièrement pour le transport routier de marchandises, dont on sait qu’il est largement dominant en Europe (87% des tonnes-kilomètres transportées en France) et dont on vient de voir le poids dans les coûts externes du transport.

C’est ici que la politique des transports prend le relais, par différents moyens : stratégies de report modal, réglementation, subvention, taxation… passons ainsi en revue quelques réalisations inspirées par cette volonté d’internalisation :

  • depuis une vingtaine d’années, plusieurs pays européens ont tenté de répercuter sur les poids lourds une partie de ces coûts. C’est le cas du système « LKW MAUT » en Allemagne (2005) ou de la RPLP en Suisse (2012) ; c’était le principe du projet « Ecotaxe » en France, abandonné en 2013 mais dont la compétence a été récemment reconnu aux Régions, avec une prochaine mise en œuvre en Alsace ;
  • dans le cadre du « Green Deal » de 2020 et du paquet « Fit55 » de 2021 (stratégies bas carbone et de réduction des émissions de gaz à effets de serre), l’Union européenne a pour ambition de promouvoir le fret ferroviaire et le transport combiné, et pour ce faire a proposé de revoir la directive 96/106 dans le sens d’un élargissement de la prise en compte des coûts externes des transports (cf. « Combilettre » n°2 de février 2023).

Enfin, gardons à l’esprit que cette volonté d’internalisation est la base de la TICPE perçue en France sur les produits pétroliers, donc principalement sur les transports routiers.

La SNDFF et le plan de développement du TCRR s’appuient sur la valorisation des externalités évitées

En 2020, l’Alliance 4F, qui regroupe en France les principales parties prenantes du transport ferroviaire de fret, avait produit une recommandation stratégique, réalisée par le cabinet Altermind, selon laquelle le coût du doublement du fret ferroviaire était plus que compensé par l’éviction des coûts externes des trafics routiers qu’il pouvait remplacer. Ces coûts externes évités étaient évalués par Altermind entre 16 et 30 milliards d’euros sur la période 2021-2040, sur la base des chiffres du Handbook européen de 2019. La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire (SNDFF), mise en œuvre ensuite par l’Etat, s’appuie sur cette idée. Le graphique ci-dessous reprend les coûts externes unitaires calculés par Altermind, pour différents modes de transport.

En 2022, pour le compte du GNTC et de Rail Logistics Europe (RLE), pour le cas particulier du transport combiné rail-route, voué à tripler de volume dans le cadre de la SNDFF, Altermind précisait que les coûts externes évités avoisinaient les 1,4 milliards d’euros par an à compter de 2030, dont 600 millions d’euros grâce aux émissions de GES évitées (cf. « Combilettre » n°1 de janvier 2023).

En France, une réglementation élaborée pour intégrer les coûts externes à l’étude des projets

Un autre champ d’application de la théorie des coûts externes se trouve dans l’évaluation socio-économique des projets d’infrastructures de transport, où la France a été pionnière dès les années 80 et où sa réglementation est aujourd’hui particulièrement élaborée.

Le contexte de cette époque était, en effet, particulièrement propice en raison de l’ampleur des projets en matière de transports (autoroutes, RER, LGV, aéroports) – un domaine qui représentait alors l’essentiel de l’investissement public.

C’est la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI) de 1982 qui a posé, la première, le principe d’une évaluation socio-économique obligatoire des grands projets appelant des fonds publics : ainsi a-t-on depuis fait la part entre la rentabilité financière du projet (retour sur capitaux investis par les parties impliquées financièrement dans le projet) et sa rentabilité socio-économique (pour la collectivité dans son ensemble). Par la suite, la méthode n’a cessé de se préciser, tant sur les différents types de coûts externes (pollution de l’air en 1998, bruit en 2007, effet d’agglomération en 2014), que sur l’ordre de grandeur des « valeurs tutélaires » à prendre en compte, c’est-à-dire les valeurs monétaires unitaires légales fixées par l’Etat pour ces différents coûts.

A cet égard, il est significatif de constater que ces valeurs tutélaires n’ont cessé d’augmenter. Par exemple, la valeur socio-économique d’un tué, une des valeurs-clés des coûts externes liés à l’insécurité, est passée, en euros constants, d’un demi-million d’euros dans les années 70 à plus de 3 millions aujourd’hui ; pour la valeur du carbone émis par les transports, stratégique pour la mesure de la pollution et de l’effet climatique, on est passé d’une trentaine d’euros à 98,3 euros exactement en 2022, cette valeur devant  augmenter jusqu’à 246 euros (aux conditions économiques 2022) à l’horizon 2030.

Les infrastructures du transport combiné, en particulier les terminaux intermodaux, sont ainsi très souvent soumises à la réalisation d’une évaluation socio-économique en suivant ces méthodes. En application de l’instruction officielle du 16 juin 2014 qui fournit le cadre d’ensemble à cette démarche, la DGITM fournit aux maîtres d’ouvrage concernés d’appréciables documentations, notamment ses fiches-outils disponibles sur son site en ligne.

Pour conclure

Comme on l’a vu au travers de ce Dossier, les coûts externes du transport de marchandises sont donc à la fois importants et encore peu internalisés en Europe et en France, à commencer par le transport routier, ce qui justifie les politiques publiques de promotion des modes de transport alternatifs et du transport combiné rail-route et fleuve-route.

Le lecteur souhaitant aller plus loin sur ces sujets trouvera ci-après quelques indications bibliographiques.

  • EU Handbook on the external costs of transports, European Commission et CE Delft, 2019
  • Les effets externes des transports : définition, évaluation et implication pour les politiques publiques, TDIE, juillet 2019
  • Mobilités : coûts externes et tarification du déplacement, dossier « Thema Transport », Ministère de la Transition écologique et CGDD, 2020
  • https://www.ecologie.gouv.fr/evaluation-des-projets-transport