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Comme toutes les activités économiques, le transport combiné n’échappe pas à une quête permanente d’efficacité, de performance et de qualité pour améliorer ses coûts et développer ses marchés. Depuis son apparition dans la deuxième moitié du XXe siècle, il s’est déjà transformé en profondeur et intègre régulièrement des innovations techniques ou organisationnelles, d’autant plus nombreuses qu’elles proviennent de différents métiers, le transport par route, par rail, par voie d’eau, mais aussi la manutention et le stockage. C’est pourquoi on peut parier que les prochaines décennies peuvent encore le transformer largement, sous l’impulsion d’innovations de toutes sortes que ce Dossier du mois vous propose de passer en revue.

Les innovations à venir dans les 30 prochaines années découleront d’une rencontre entre les besoins de la filière du transport des marchandises, dont le combiné fait partie, et les solutions technologiques.

Quels seront les besoins du transport combiné pour les 30 prochaines années ?

Les besoins du combiné de demain sont à peu près prévisibles.

Outre l’impératif d’être toujours moins coûteux et plus efficace, le combiné devra renforcer sa capacité à tracer les marchandises en tout instant (le fameux tracking), pour satisfaire les commissionnaires de transport et les chargeurs, dont les supply chains ont des besoins grandissants de prédictibilité.

De plus, le combiné devra continuer à minimiser son impact environnemental : on sait qu’il est déjà très inférieur au tout-route (un transport de marchandises par mode combiné permet de diviser par 9 les émissions de GES par rapport au même transport effectué par route), mais il continuera probablement ses efforts sous l’empire des réglementations RSE et plus largement des demandes sociétales.

Face à ces besoins, la plupart des solutions technologiques pouvant offrir des débouchés pour le transport combiné et servir ces besoins sont déjà repérées, même si elles sont encore peu observables en France.

L’électromobilité avance à tous les étages du transport combiné

Elles concernent d’abord les motorisations des véhicules : les recherches et expérimentations actuelles ont pour objet de supprimer les motorisations thermiques traditionnelles (essence, diesel et hybride), que l’Union européenne, dans le cadre de sa stratégie verte « Green Deal », a déjà interdites cette année pour les véhicules routiers particuliers à partir de 2035, et qui sont dans son collimateur pour les camions.

Le virage vers l’électromobilité, c’est-à-dire le recours à des véhicules routiers 100% électriques, concentre ainsi tous les efforts : depuis 2020, 6 grands constructeurs européens ont mis sur le marché des gammes de tracteurs électriques, rechargeables et/ou à batteries, dont la profession scrute avec attention les performances en matière d’autonomie (jusqu’à 400 km pour l’instant) et de temps de recharge aux bornes (à partir d’une heure pour l’instant). Bien que les pré-post acheminements routiers du combiné ne dépassent pas 80 km en moyenne, ces deux paramètres, autonomie et temps de recharge, sont les plus dimensionnants pour l’organisation de tournées routières : cela explique ainsi les projets de déploiement renforcés de bornes de recharge sur le réseau routier français ainsi que les recherches sur des solutions plus originales comme les dispositifs de recharge en ligne (caténaires, systèmes au sol).

Source : Les Echos / Mercedes-Benz

 

Mais l’électromobilité ne concerne pas que les véhicules routiers : le transport fluvial, lui aussi, progresse dans cette direction. C’est en 2021 qu’est apparu en Europe la première péniche de fret 100% électrique : ce bateau, capable d’emporter plus d’une centaine de conteneurs et doté d’une autonomie de 120 km, est aujourd’hui en service au Benelux. Il devrait être suivi d’autres modèles. Ses résultats sont également observés avec attention car, comme pour le routier, les péniches électriques buttent sur le poids des batteries et les problèmes des bornes de recharge.

Quant au transport ferroviaire, qui bénéficie depuis longtemps d’une performance carbone supérieure aux autres modes (seul 25% du fret ferroviaire en France s’effectue en mode thermique), il n’entend pas être distancé : ainsi, plusieurs constructeurs annoncent-ils des modèles de locomotives hybrides pour le fret (pour l’instant électrique et thermique), au demeurant encore peu commercialisées au regard de leur coût, ainsi que des gammes de locotracteurs électriques.

Fonction stratégique du combiné, la manutention n’est pas en reste : elle aussi est en avance grâce à la technique du portique électrique, bien connue depuis longtemps. Mais elle évolue maintenant vers l’électrification des engins mobiles de manutention (autogrues, cavaliers, chariots élévateurs). Pour les autogrues, certains constructeurs en Europe proposent des modèles de moyenne taille (jusqu’à 45 tonnes) 100% électriques ainsi que des reachstakers hybrides permettant de réduire de 30% les consommations de carburants.

Sur l’électromobilité, il faut souligner l’enjeu encore considérable de la performance des batteries, outil indispensable à tout véhicule ne disposant pas d’un système d’alimentation continue. La recherche a ici d’importants challenges à relever, qu’il s’agisse de leur poids, de leur durée de vie, de leur recyclabilité… enfin, en dehors des aspects proprement techniques, l’électromobilité doit encore franchir le cap économique, la plupart de ces solutions restant beaucoup plus coûteuses que leurs homologues thermiques.

Un complément utile : l’hydrogène

On sait depuis plusieurs années les mérites de l’hydrogène comme forme d’énergie pour les transports : la combustion de ce gaz dans les moteurs n’engendre pas de pollution ni de gaz à effet de serre ; les moteurs thermiques actuels peuvent être adaptés facilement. Mais le rendement des moteurs à hydrogène est assez faible et, surtout, sa fabrication mobilise beaucoup de matières premières et d’énergies fossiles (à 95% dans le cas de la France). Si ce chantier du « verdissement de l’hydrogène » reste encore largement à conduire, il n’en reste pas moins que cette technique semble appropriée pour les motorisations des camions : les premiers modèles commerciaux sont annoncés pour 2025 et le « Green Deal » prévoit 50 000 poids lourds à hydrogène en 2030 dans l’UE – ce qui suppose, comme pour l’électromobilité, une stratégie de déploiement de stations de recharge sur les réseaux routiers. Mais la part des camions à hydrogène devrait rester modeste, un complément utile aux motorisations électriques. Dans le même temps, le fret ferroviaire devrait rester peu équipé en motorisations à hydrogène, les recherches se concentrant plutôt sur le ferroviaire voyageurs.

Tracteur routier à hydrogène (source : Volvo)

Le combiné en route vers l’autonomisation des véhicules…

Les véhicules qui participent au transport combiné ne verront pas seulement leurs motorisations bouleversées par l’innovation : ils sont appelés à intégrer, de plus en plus, les automatismes et l’autonomisation. A l’origine de cette impulsion, on trouve avant tout l’impératif de réduire les coûts et de trouver des solutions aux pénuries de chauffeurs, mais elle peut également engendrer des bénéfices environnementaux, comme des économies d’énergie liés à l’écoconduite.

Il faut ici d’abord rappeler la distinction entre conduite automatique (il n’y a plus de conducteur : le véhicule exécute un programme), conduite assistée (le conducteur conduit mais est assisté ou remplacé par des automatismes sur certaines tâches) ou encore téléconduite (le conducteur conduit à distance via des télécommandes).

Pour le transport routier, l’autonomisation des camions, à 100% sans chauffeurs, est en recherches très avancées, principalement aux Etats-Unis où des véhicules expérimentaux, équipés de capteurs, de caméras et de lasers, circulent depuis plusieurs mois en se mêlant au trafic routier. Si le modèle se concentre pour l’instant sur des parcours longues distances et hors régions urbaines denses et encombrées, on peut spéculer que le last mile connaîtra lui aussi cette révolution dans les prochaines décennies.

Le fret ferroviaire et la navigation fluviale semblent, de par leurs sites propres, des terrains de choix à l’expérimentation de la conduite autonome. En 2020, la SNCF, avec l’IRT Railenium et ses partenaires industriels, a ainsi commencé ses expérimentations réelles de train « à conduite assistée » et vise un prototype dès 2023, qui pourrait s’appliquer aux trains de fret ; dans le même temps, des constructeurs commencent à présenter des locomotives de manœuvre « automatiques », spécialement pertinentes pour les opérations de grands sites industriels ou de terminaux intermodaux. Dans le fluvial, on note depuis cette année le fonctionnement, aux Pays-Bas, de péniches à conteneurs pilotées à distance (« River Drones », de la compagnie Naval Inland Group), seuls restant à bord deux employés chargés des tâches ne pouvant être automatisées.

Prototype de locomotive fret autonome (source : SNCF)

Locotracteur rail-route électrique de manœuvre (source : Socofer)

Enfin, cette évolution touche également les véhicules de manutention, à commencer par les portiques ou les cavaliers des sites portuaires, dont plusieurs exemplaires sont autonomes à Dubai ou à Rotterdam par exemple. En France, plusieurs terminaux intermodaux commencent à déployer des systèmes de téléconduite des portiques. De façon générale, l’apparition de la conduite assistée et de la téléconduite contient un fort enjeu de changement sur les métiers, dont les gestes, les pratiques et les savoirs-êtres sont requestionnés.

Drones, géolocalisation, IA : des outils pour la sûreté, la maintenance et l’organisation

Ces solutions technologiques, maintenant éprouvées et d’usage devenant banal, trouvent des applications intéressantes pour le transport combiné. Avec des drones, l’exploitant de terminal peut améliorer la surveillance de son site et donc en renforcer la sûreté ou bien réaliser les visites réglementaires de sécurité d’un portique plus facilement ; avec la géolocalisation appliquée aux matériels roulants ferroviaires (locomotives et wagons), l’entreprise ferroviaire et l’opérateur de transport combiné peuvent mieux gérer leurs parcs, voire même mieux anticiper les opérations de maintenance si locomotives et wagons sont eux-mêmes dotés de systèmes de mesure et d’échanges de données, comme le laisse présager les projets de « wagons intelligents » sur lesquels travaillent constructeurs et loueurs. Enfin, la révolution de l’intelligence artificielle (IA) ouvre des perspectives considérables pour l’amélioration des processus de travail et la résolution de problématiques complexes comme le remplissage des trains ou des bateaux, la gestion des itinéraires ou encore le management des situations dégradées.

L’enjeu capital de la cybersécurité

Si bien d’autres solutions technologiques pourraient être déployées dans le transport combiné, les progrès ne seront possibles que si ces solutions garantissent aux opérations un niveau de sûreté et de sécurité au moins équivalent. Ce défi est d’autant plus stratégique que l’interopérabilité des systèmes et la connectivité des pays produisent un niveau d’insécurité numérique en forte hausse.

C’est à cet enjeu capital de cybersécurité que l’UE va tenter de répondre avec la législation CRA (« Cyber Resilience Act ») à partir de 2025. Ce texte majeur oblige les fournisseurs de systèmes (capteurs, drones, caméras, logiciels, systèmes de pilotage embarqués, systèmes de communication…) à se conformer à des normes strictes destinées à éviter les actes de malveillance (piratages, rançonnages, prises de contrôle à distance…). D’autres réglementations et certifications devraient voir le jour ces prochaines années, poursuivant le même objectif.

Demain, un transport combiné plus technologique ?

En conclusion, ces différentes perspectives dessinent un avenir toujours plus technologique pour transport combiné, comme pour tous les métiers de l’univers des transports et de la logistique. Cela impliquera une mutation d’ampleur du capital humain, avec des compétences et des métiers nouveaux mais également des transformations profondes pour les fonctions existantes. Parions que notre filière relèvera ce défi en gardant son ADN fondamental, c’est-à-dire sa capacité à combiner des métiers de transport très différents pour produire un service toujours respectueux de l’environnement.