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E-Commerce et transport combiné, quel impact ?

Enfant de la révolution numérique depuis le début du XXIe siècle, le e-commerce révolutionne nos modes de consommation et notre relation à l’acte d’achat. Cette tendance, qui s’amplifie inexorablement année après année, bouleverse également l’organisation du commerce de détail, les chaînes d’approvisionnement, les opérations de stockage et de transport, et fait apparaître de nouveaux acteurs aux stratégies protéiformes. Mais quel est l’impact de cette mutation sur le transport combiné ? Ne porte-t-elle que sur le dernier kilomètre, ou bien des transformations sont-elles déjà en cours ? Va-t-on vers l’émergence de nouvelles formes de transport combiné ? Voici un Dossier du mois proposant un état des lieux de la question et esquissant des pistes de réflexion vers un avenir encore largement ouvert

La croissance continue du e-commerce…
La vente de détail à distance, donc sans contact physique entre le consommateur et le produit, n’est pas neuve : elle existe déjà en France vers 1900 pour des articles de confection et de textile. C’est la révolution numérique de la fin du dernier siècle, et avec elle le haut débit, qui, en quelques années, la bouleversent profondément, par une promesse de rapidité et de proximité jusque là inconnue.
Le e-commerce permet en effet à un consommateur – internaute, en quelques clics, à tout moment, de passer en revue d’innombrables produits, articles, modèles, variantes, d’accéder aux prix et aux conditions de vente, mais également d’obtenir des services, des conseils et des précisions en direct, et surtout de se faire livrer son achat à domicile ou à proximité, dans des délais très courts.
En France, en 2023, d’après les données de la FEVAD (Fédération du e-commerce et de la vente à distance), le e-commerce atteignait la valeur de 160 milliards d’euros, un chiffre en hausse constante (+10% sur 2022, +13,5% sur 2021). Dans l’économie française, cet ordre de grandeur est comparable à celui de branches comme l’automobile ou le BTP. Désormais, plus de 12% du total du commerce de détail en France s’effectue par le e-commerce ; la France est d’ailleurs le 2e marché d’Europe pour le e-commerce, après le Royaume-Uni mais devant l’Allemagne.
Ceci étant, en 2023, cette croissance était portée bien davantage par les ventes de services, puisque les ventes de produits reculaient de 1,8% sur 2022, après avoir déjà baissé de 7% sur 2021. La majorité des analystes estime néanmoins que ces deux baisses proviennent d’abord du « dégonflement » après les confinements des années 2020-21, mais également du ralentissement de la consommation suite aux poussées inflationnistes.
La tendance de fond, elle, est regardée comme toujours dynamique, avec une hypothèse de 200 milliards de ventes à l’horizon 2025. Plus de 200 000 sites marchands sont accessibles en France, un chiffre en constante croissance.
Cette croissance se nourrit également de la volonté des e-commerçants d’étoffer leurs offres par des services, le but étant d’enrichir la fameuse « expérience client » : ainsi, les e-consommateurs peuvent trouver des conseils, des avis et des évaluations émanant du e-commerçant mais aussi d’autres e-consommateurs, ce qui est présenté comme un plus par rapport au commerce traditionnel.
Dernier aspect caractéristique du e-commerce, c’est aussi un commerce « C to C » (client to client) par le canal des sites de revente en ligne, un segment en plein essor avec la vogue de l’occasion, du recyclage et du réutilisable.

…bouleverse l’organisation et les acteurs de la logistique
Du point de vue du consommateur, le mérite premier du e-commerce est chez lui : alors qu’auparavant il se rendait physiquement dans un magasin, et en ramenait ses produits par un sac, un caddie ou un coffre d’automobile, le e-consommateur reste dans son salon, effectue ses achats par son seul accès à internet (ordinateur, tablette, smartphone) et ouvre la porte du livreur (ou se rend au point de livraison au bout de sa rue), au terme d’une livraison à domicile souvent qualifiée de « gratuite ».
Ainsi, le champ du e-commerce s’est étendu, il a englobé ce « dernier kilomètre » de la livraison à domicile tout en lui assignant une promesse de rapidité et de qualité qui sont autant de défis pour l’organisation. Ce faisant, le dernier kilomètre devient aussi plus fragmenté, avec des volumes plus restreints et plus fréquents – une tendance qui ne semble pas devoir ralentir, comme le suggère l’apparition de e-commerçants promettant toujours plus de rapidité (dans les produits alimentaires, dans la « fast fashion…).

Par ailleurs, une des singularités de l’histoire du e-commerce, c’est qu’il est apparu non par des entreprises de commerce mais par le fait d’entreprises nouvelles issues de la tech, à commencer par les deux géants mondiaux, l’Américain Amazon et le Chinois Alibaba. Ces pure players, c’est-à-dire dépourvus de magasins en dur, ont ouvert à la voie à une foule de nouveaux commerçants, comme en France Cdiscount, Veepee, Rakuten, Rueducommerce, Zalando…

Ces entreprises ont donc eu à concevoir, d’une page blanche, leurs organisations logistiques, en retenant le principe du cross-docking (sites permettant en un même lieu le regroupement et l’éclatement des marchandises en flux tendus), et en profitant d’innovations technologiques massivement introduites dans leurs entrepôts comme les automatismes, la lecture optique ou la data. Par ailleurs, ces entreprises ont créé leurs sites suivant les dernières exigences de la logistique (loin des centres-villes, au plus près des infrastructures de desserte routière…), accentuant le découplage entre géographie industrielle et géographie logistique.
Pour la diffusion au client, les pure players, mais également les commerçants traditionnels qui leur ont emboîté le pas dans la vente en ligne, proposent de livrer au plus près, à domicile ou en point de retrait (les fameux drives, mais aussi divers points de collecte assurés par des boutiques de centre-ville, des supérettes, des bureaux de poste ou de tabac, des armoires à box localisées en des sites de fortes fréquentations comme les gares, les places urbaines…)
Ainsi, le e-commerce bouleverse la logistique du commerce de détail : il crée de nouveaux sites d’entreposage et de diffusion des commandes finales, avec de nouveaux fonctionnements et paramètres d’implantation ; il englobe un « dernier kilomètre » au plus près du e-consommateur et sous très forte pression de rapidité.

Le e-commerce : une opportunité pour le transport combiné…
Le transport combiné est utilisé depuis longtemps par les acteurs du commerce et de la grande distribution, qui y ont recours pour transporter, en les groupant, les produits qu’ils distribuent.
De fait, cette capacité de massification offerte par le combiné s’avère pertinente pour le e-commerce, qui y a recours depuis plusieurs années à la fois pour s’approvisionner en amont auprès des fournisseurs et pour diffuser les produits en aval, d’un hub national à un entrepôt régional. Pour ce type de transports, certains e-commerçants investissent même dans des matériels aptes au combiné, à l’image d’Amazon et de ses semi-remorques chargées, entre l’Espagne et le nord de l’Europe, par l’autoroute ferroviaire Le Boulou – Bettembourg (photo ci-dessous).

On remarque également que le combiné est approprié au transport des flux retours, que le e-commerce génère dans des proportions assez importantes (entre 5 et 20% des volumes suivant les études) et qui ne sont pas grevés de la même exigence de rapidité ou de qualité que les flux aller. Cet intérêt industriel du e-commerce pour le combiné se double d’un intérêt social et environnemental : en effet, la plupart des opérateurs de e-commerce publient des politiques de RSE s’orientant vers la décarbonation de leurs transports, principalement par l’utilisation de véhicules sans émissions et le report modal Ainsi, l’utilisation du transport combiné leur permet de réduire sensiblement leurs émissions de gaz à effet de serre. La FEVAD a d’ailleurs constaté en 2023 que 8 e-commerçants sur 10 comptaient accroître leurs investissements en matière de RSE.
Ceci étant, l’émergence des sites d’entreposage et de stockage du e-commerce, dans cette nouvelle géographie logistique, renforce la nécessité de positionner les infrastructures du transport combiné au plus près de ces sites, dans les meilleurs conditions d’accessibilité : c’est un des enjeux du schéma directeur du transport combiné, actuellement en cours de préparation en France.

…et un défi pour le dernier kilomètre
Si le e-commerce bénéficie de la massification offerte par le transport combiné, il ne faut pas cacher le défi qu’il pose à la logistique du dernier kilomètre, à la fois en raison de l’exigence accrue de rapidité et de la fragmentation des envois au fur et à mesure qu’on se rapproche du client final. Les chaînes de distribution du e-commerce ont en effet tendance à se doter de points intermédiaires d’éclatement des volumes et mettent en œuvre par conséquent de nouvelles opérations de stockage et de préparation de commandes.
En fait, c’est tout le dernier kilomètre du commerce de détail qui se transforme depuis plusieurs années sous une autre influence, celles des exigences environnementales. Engagées dans la décarbonation de leurs transports et la dépollution de l’air, les villes d’Europe sont en train de restreindre profondément la place du mode routier dans leurs centres, en remodelant complètement l’espace public vers une nouvelle logistique urbaine reposant principalement sur des sites de diffusion plus nombreux mais de taille plus réduite ainsi que sur des transports en VUL électriques et des vélos-cargos – ce qui rejoint également les besoins du e-commerce et la diffusion de volumes plus restreints et plus fréquents.
Ces mutations sont encore largement en gestation et ne préjugent pas des futures formes de la distribution urbaine. Néanmoins, on peut faire l’hypothèse que se développent dans un avenir proche de nouvelles formes de transport « combiné » associant le camion et le vélo-cargo ou même, dans les villes où c’est pertinent, la barge fluviale et le vélo-cargo, comme le laisse entendre des expériences récentes à Rouen, Strasbourg, Paris ou Lyon.