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Nous en avions parlé au début de cette année (cf. votre Combilettre n°12 de janvier 2024) : à l’image de la stratégie de fret ferroviaire en cours depuis 2021, l’Etat a décidé de définir et de mettre en œuvre une « stratégie nationale de développement du fluvial ». Parmi les 7 chantiers de réflexion actuellement ouverts dans le cadre de cette stratégie figure la « transition énergétique pour l’accroissement de la compétitivité écologique d’un mode déjà vertueux » : c’est donc l’occasion de faire un point d’avancement au sujet du verdissement du transport fluvial, qui est une composante importante du transport combiné en France.

Le fluvial, l’autre facette du transport combiné

Si la voie d’eau ne représente que 2% des tonnes-kilomètres du transport de marchandises en France, elle joue un rôle non négligeable dans le transport combiné, dont elle assure grosso modo le quart des volumes (le rail-route emportant les trois quarts restants). En 2023, elle a ainsi transporté 538 000 équivalent – vingt pieds (EVP), principalement sur l’axe région parisienne – Normandie, les Hauts-de-France, le Rhin et l’axe Rhône – Saône. Selon VNF, le transport combiné fleuve-route représente environ 10% du trafic total de marchandises du mode fluvial – presque exclusivement sous la forme de transports de conteneurs maritimes.

De façon générale, le bilan économique et social de la voie d’eau est favorable : sa massification (une barge peut emporter jusqu’à l’équivalent de 200 camions en un seul voyage) réduit substantiellement ses coûts externes par rapport à la route ; son réseau à grand gabarit ne souffre pas de problèmes de congestion et lui permet de pénétrer facilement dans les grandes agglomérations.

C’est pourquoi l’Etat a décidé de développer ce mode de transport, qui participe aux efforts nationaux de réduction de l’empreinte carbone des transports dans le pays ; en 2021, il a signé avec des acteurs de la profession des Engagements pour la croissance verte du fluvial, un document visant une réduction de 35% des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2035 et la neutralité carbone en 2050.

Les différents types de convois fluviaux – source : VNF

Dans la stratégie nationale fluviale, le verdissement va tenir une bonne place

Les pouvoirs publics souhaitent en effet mettre l’accent sur le renforcement des performances environnementales de la voie d’eau : à tonne-kilomètre transportée, par rapport à un transport tout routier, le fluvial est 4 fois moins émetteur de GES, une performance intéressante, mais pas autant que le ferroviaire qui l’est 9 fois moins grâce à son usage massif de la traction électrique (80% de ses trafics) et au mix énergétique français ; cet écart est aussi dû au fait que les bateaux fluviaux sont assez anciens (leur moyenne d’âge en France atteint 60 ans) et leurs motorisations d’une grande longévité.

C’est donc dans la voie d’un verdissement des motorisations que la voie d’eau poursuit ses efforts de réduction carbone, mais également par d’autres moyens comme l’électrification et l’éconconduite. Passons en revue ces différents leviers et l’état actuel de leurs avancées – des leviers largement coordonnés par VNF qui organise depuis 2019 un évènement annuel sur le sujet, « Vert le Fluvial » (et dont la prochaine édition aura lieu le 7 octobre prochain à Paris).

Le verdissement des motorisations passe par les moteurs…

Comme le rappelle VNF, les bateaux fluviaux sont des véhicules spéciaux : ce ne sont pas exactement des navires de mer, sur lesquels les solutions de dépollution sont en cours de déploiement depuis plusieurs années, ni des camions, aujourd’hui soumis à la norme « Euro VI ». Les bateaux fluviaux présentent plutôt des caractéristiques très spécifiques, liées notamment à la « navigation en milieu confiné » c’est-à-dire au caractère physiquement restreint des canaux et rivières empruntées, par opposition à la navigation « en milieu infini » qu’est la haute mer.

Leurs motorisations n’en restent pas moins soumises à des exigences en matière d’émissions, notamment depuis le règlement européen dit « EMNR » (engins mobiles non routiers) ou également « stage V » qui impose depuis juillet 2019 à tous les bateaux, neufs ou « rétrofittés », d’être équipés de moteurs aux performances environnementales équivalentes aux moteurs routiers Euro 6. Pour mémoire, cette législation encadre toutes les émissions des moteurs, les GES, le dioxyde de carbone, les oxydes d’azote mais également les particules fines.

Relever ce défi requiert ainsi un effort de recherche et développement (R&D) important pour les motoristes, appelés à mettre sur le marché de nouvelles motorisations ou nouveaux systèmes d’échappement. Or, l’offre de transport fluvial ouvre de faibles perspectives pour amortir un effort de R&D, avec environ mille bateaux de fret immatriculés français en 2018, et environ six cent bateaux professionnels dans le tourisme fluvial.

Il est donc aujourd’hui nécessaire de faire émerger des solutions opérationnelles et peu coûteuses, afin de permettre aux transporteurs fluviaux de faire évoluer leurs bateaux vers des motorisations plus propres que par le passé. C’est pourquoi on constate depuis plusieurs années une tendance, partagée par les constructeurs et les exploitants, à « mariniser » des moteurs conformes à la norme Euro 6, c’est-à-dire à les adapter au fluvial en remplaçant notamment leur refroidissement par air par un refroidissement par eau. Ces moteurs sont d’origine routière pour la plupart, mais certains viennent des engins agricoles ou encore des machines de BTP.

A noter que VNF, dans le sillage de son bateau de travail « Valrhôna » développé en 2020, accompagne certains projets de remotorisation de bateaux en stage V, en particulier pour des groupes électrogènes ou des propulseurs d’étrave de bateaux de marchandises.

…et par les carburants alternatifs

Le carburant le plus utilisé aujourd’hui dans le transport fluvial de marchandises est le GNR (gazole non routier), qui présente les mêmes défauts environnementaux que le diesel routier. Le GTL (« Gas-to-Liquid ») est un bon candidat pour le remplacer à court terme. Il s’agit d’un carburant produit à partir de gaz naturel liquéfié ne nécessitant pas de changement de moteur et dont les émissions d’oxydes d’azote et de particules fines peuvent être réduites de 20%. Le coût du GTL étant supérieur au GNR, les entreprises qui l’utilisent marquent un engagement fort pour l’environnement ; au demeurant, elles font état de résultats positifs, en constatant notamment un rendement équivalent au GNR et l’absence d’usure prématurée des moteurs, ce qui était une de leurs craintes.

D’autres carburants alternatifs sont également disponibles, comme le GNL (gaz naturel liquéfié) et le GNC (gaz naturel comprimé), déjà largement utilisés dans le transport routier et le transport maritime. Leur usage s’avérant particulièrement adapté aux très longs trajets, ils pourraient trouver leur pertinence dans le domaine fluvial, où le GNL est déjà homologué. Plusieurs expérimentations se poursuivent depuis 2021, Le groupe d’ingénierie Segula Technologies et GRDF travaillent à la réalisation, d’ici à 2025, d’une navette fluviale à propulsion hybride bioGNC/électrique appelée Green Deliriver.

Autre solution possible, les carburants biosourcés, comme ceux issus du colza ou le HVO (Hydrotreated Vegetable Oil), fabriqué à partir d’huiles résiduelles (huiles et graisses végétales et animales issues de la filière du recyclage) et dont la combustion émet 97% de GES de moins que le diesel, sur l’ensemble du cycle de vie de ce carburant. Le HVO, qui présente l’avantage de pouvoir être utilisé sans modification des moteurs, est déjà homologué pour les usages routiers et les engins agricoles, et il vient de l’être pour les motorisations fluviales (arrêté du 26 juin 2024).

L’électrification à 100%, une solution toujours contrainte…

Comme le transport routier, le transport fluvial se projette dans des motorisations 100% électriques – la solution ultime de la décarbonation -, en faisant face aux mêmes contraintes : le poids des batteries, leur encombrement physique et leurs modalités de rechargement.

Les réponses à cette triple problématique n’ont rien d’évident et se matérialisent pour le moment par des expérimentations et des recherches. Ainsi, la péniche néerlandaise Alphenaar, une des premières expériences de bateau fluvial 100% électrique en Europe, atteint une capacité de 80 conteneurs et 120 km d’autonomie grâce à des batteries embarquées dans des conteneurs qui sont transbordés à chaque terminus du trajet, en moins de 15 minutes, les batteries du conteneur embarqué ayant été rechargées précédemment. Cette solution, également adoptée par le bateau norvégien Yara Birkeland, affranchit complètement le navire de toute nécessité de station intermédiaire de recharge ; mais elle entraîne une perte de place et de charge utile qui ne peut pas toujours être compensée.

En tout état de cause, l’apparition de carburants alternatifs et de motorisations électriques dans le transport fluvial fait apparaître des problématiques nouvelles, à commencer (comme pour la route) par la localisation des stations et bornes au droit des ports et des espaces de chargement. C’est un des axes de réflexion de la stratégie fluviale en cours.

La péniche porte-conteneurs Alphenaar lors de son voyage inaugural en 2021 vers le port de Moerdijk (Pays-Bas)

…pour les navires hybrides aussi

La profession fluviale fait également porter ses efforts sur des solutions hybrides, à l’image du bateau diesel-électrique Marsouin (du groupe Lafarge – Holcim), du bateau à batteries et pile à combustible PM13 (du groupe Cemex), du navire à hydrogène Zulu 6 (de Sogestran) ou encore du projet HyBarge à motorisation entièrement hydrogène (société « L’Equipage »).

Le projet « Zulu 6 »

Il s’agit là d’expérimentations déjà en cours ou attendues pour 2024 ; dans tous les cas, il est probable que les résultats et retours d’expérience seront examinés avec minutie par la profession et les industriels, en matière de consommation énergétique effective, de rendement et de coûts, avant de s’engager dans des réalisations plus substantielles et plus dimensionnantes pour l’avenir.

L’éco-conduite s’installe doucement dans les pratiques professionnelles des opérateurs

Ce tableau des leviers du verdissement ne saurait se terminer sans une revue des projets en cours en matière d’éco-conduite.

Comme pour ses homologues du rail ou de la route, la profession fluviale devine un potentiel important de gain énergétique et de GES éludées dans l’optimisation du pilotage et de la navigation. Ainsi E2F, la représentation professionnelle des métiers du fluvial, édite-t-elle régulièrement des recommandations sur la gestion des transports et des vitesses ou sur la formation des personnels de navigation (savoir placer le bateau sur le cours d’eau, savoir gérer ses phases de démarrage, d’accélération, mais aussi d’arrêt et de ralentissement comme de giration, etc). Ces recommandations sont maintenant reprises dans les simulateurs de navigation des organismes de formation.

Chez VNF, on travaille sur un projet de développement de l’écopilotage qui comporterait 3 axes : l’optimisation de la vitesse ; l’optimisation des consommations énergétiques ; l’optimisation de la gestion du trafic fluvial par le double levier du temps de passage aux écluses et de l’estimation des heures d’arrivée des bateaux aux écluses pour lisser leur navigation dans le temps et diminuer les temps d’attente aux écluses. Cela permettrait à certains bateaux d’aller moins vite pour une durée de trajet similaire.

Le verdissement du fluvial, un défi auquel répond une panoplie d’outils et de financements

On le voit, le verdissement du transport fluvial est en marche et suscite de nombreuses innovations. Pour accentuer ces efforts, il n’est pas inutile de rappeler l’engagement de VNF et de E2F à la disposition des entreprises par leurs ressources documentaires et les bonnes pratiques dont elles se font le relais.

Ainsi, les entreprises portant des projets de verdissement de leurs flottes fluviales peuvent bénéficier du programme PAMI (plan d’aide à la modernisation et à l’innovation) de VNF et du programme REMOVE piloté par l’ADEME ; ce dernier, financé par les CEE, comprend des appels à projets ainsi qu’un volet « LOG-TE fluvial » basé sur un engagement volontaire de l’entreprise en matière d’objectifs et de moyens ; en échange, celle-ci bénéficie de l’accompagnement des experts de l’ADEME ou des organisations professionnelles pour l’aider à réaliser ses diagnostics et l’assister dans les choix d’investissement qu’elle décidera de faire.

Crédits documentaires et photographiques : VNF ; Institut Paris-Région ; CCT ; E2F