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Le schéma directeur national du transport combiné : une première en France et un jalon majeur vers le développement du report modal.

Demandé depuis de nombreuses années par la profession aux pouvoirs publics, le schéma directeur du transport combiné, premier du genre et dont le principe avait été décidé en 2021, a été publié le 24 octobre dernier, après de nombreux échanges avec les entreprises de notre filière et le GNTC. Evènement majeur pour le combiné, ce schéma est un jalon important sur la route de son développement, dont il pose une vision prospective sur les 20 prochaines années et pour lequel il offre un cadre de cohérence partagé avec les acteurs. Votre Combilettre vous propose donc, dans ce Dossier du mois, une revue synthétique de ce document, dont la version intégrale est disponible ICI.

Une démarche de planification voulue par l’Etat et les parties prenantes du combiné

En France, établir un schéma directeur à l’appui d’une politique des transports n’est pas nouveau. Les plus seniors de nos lecteurs se souviennent sans doute des schémas directeurs d’aménagement des années 60-70 (par exemple celui de l’Ile-de-France qui consacra le RER ou le marché de Rungis), ou bien des grands schémas d’infrastructures des années 80-90 comme celui des autoroutes ou des lignes ferroviaires à grande vitesse.

Dans tous ces exemples, on remarque que « l’Etat stratège » est confronté à un double défi, celui de programmer des investissements de long terme et de décider d’infrastructures ayant un fort impact territorial. Il en va de même, de nouveau, pour le développement du transport combiné : cela explique le recours à un «  schéma directeur », le premier à notre connaissance édicté pour ce type d’activités.

En fait, c’est en 2021, au moment de l’élaboration de la Stratégie nationale de développement du fret ferroviaire (SNDFF) que le principe d’un tel schéma s’est ressenti, eu égard à la part majeure du combiné (plus de 40%) dans l’ensemble du fret ferroviaire, mais aussi au potentiel de croissance important qu’il représente : rappelons que l’objectif de doublement sous 10 ans du fret ferroviaire porté par la SNDFF induit le triplement du combiné rail-route. C’est donc logiquement que la stratégie nationale a prévu, parmi ses 72 mesures, une mesure n°46 invitant à élaborer un tel schéma directeur, au demeurant voué à être décliné en schémas régionaux notamment en Ile-de-France. Cette décision est également complétée d’une mesure n°53, centrée sur le dégagement des gabarits ferroviaires nécessaires aux autoroutes ferroviaires.

Si les schémas régionaux et les actions sur les gabarits sont encore largement en cours jusqu’en 2025,  le schéma directeur du transport combiné voit donc le jour après plus de deux ans d’intenses travaux, pilotés par la DGITM en concertation avec l’ensemble des parties prenantes du secteur, chargeurs, transporteurs, opérateurs et leurs organisations représentatives. Le GNTC a pris une part active dans ces activités, au travers de très nombreuses réunions d’avancement et après plusieurs versions projet du schéma, partagées avec ses adhérents.

Un schéma pour l’ensemble du combiné, à des horizons de moyen-long terme

C’est d’ailleurs au travers des premiers échanges que s’est fixée la volonté de construire un schéma directeur sur l’ensemble du transport combiné, rail-route comme fleuve-route ; là également, il s’agit d’une première, tant la conviction est désormais partagée que les modes massifiés, rail et fluvial, sont complémentaires.

Sur le plan méthodologique, la DGITM a suivi un ordonnancement classique : d’abord un diagnostic de l’existant, puis une caractérisation de l’offre et des capacités sur les plateformes, réalisée parallèlement à une évaluation de la demande de transport à moyen et long terme, le tout aboutissant à une identification des besoins. Le diagramme ci-dessous présente cette progression, que nous allons suivre ci-après.

En matière d’horizon, le schéma se place dans le moyen-long terme, borné par les deux échéances de 2032 et 2042, la première correspondant à l’issue des deux prochains CPER, vecteur privilégié de l’investissement public en région ; c’est également le terme des investissements dans le fret ferroviaire porté par la SNDFF.

Le diagnostic du schéma directeur : une dynamique depuis 15 ans, un important potentiel de croissance

La première partie du schéma directeur est un état des lieux détaillé du combiné en France. Il rappelle d’abord que le transport combiné a fortement progressé depuis 15 ans :

  • le combiné rail-route a doublé de volume, passant de 7,4 (2010) à 14,3 (2022) milliards de tonnes-kilomètres, avec une progression majeure depuis 5-7 ans du transport des semi-remorques (par wagons surbaissés d’autoroutes ferroviaires ou par wagon-poche), qui représente maintenant 20% des flux totaux rail-route ;
  • le combiné fleuve-route a de son côté crû de moitié, passant de 490 (2010) à 606 (2022) milliers d’EVP transportés, dynamisé par la demande émanant des ports maritimes raccordés au réseau fluvial.

Le schéma directeur présente ensuite des informations approfondies sur sur les différents segments de marché et les grandes natures de marchandises du combiné aujourd’hui ; il dresse un tableau des moyens mobilisés en regard de cette demande, terminaux intermodaux d’une part, services de transport combiné ferroviaires et fluviaux d’autre part (cf. cartes ci-dessous).

Ce diagnostic d’ensemble se termine par une analyse des potentiels de croissance du combiné, qui pourrait venir :

  • de trafics routiers domestiques et internationaux, dont une partie est jugée « reportable » au vu des distances parcourues (à partir de 300-500 km) ;
  • de flux maritimes, représentant déjà 40% du combiné rail-route et quasiment tout le combiné fleuve-route ; ces flux présentent l’avantage d’être déjà massifiés, qu’il s’agisse de trafics en conteneurs ou rouliers en semi-remorques ;
  • de flux d’échanges ou de transit France – Espagne : pour des raisons techniques et économiques, le transport de marchandises transpyrénéen réserve une part modale écrasante (de 97%) à la route ; mais les récentes améliorations techniques (interopérabilité de l’infrastructure ferroviaire, nouvelles locomotives) laissent entrevoir un potentiel important pour le combiné ;
  • de flux d’échanges ou de transit France – Italie, avec là aussi une part routière très accentuée (93%) et de prochaines améliorations à venir (axe Lyon – Turin) prometteuses pour le combiné ;
  • des flux d’échanges France – Iles Britanniques, par développement des trafics rouliers ;
  • d’autres flux internationaux, principalement vers le Benelux et l’Allemagne.

La caractérisation de l’offre et des capacités existantes : une analyse des fonctionnements et des contraintes à l’optimisation

La deuxième étape du schéma directeur est une évaluation de l’offre actuelle en terminaux et en manutentions, faisant ressortir leurs fonctionnements et les contraintes auxquelles ils sont soumis.

Pour caractériser les terminaux actuels, la DGITM a fait le choix d’une vaste enquête auprès des exploitants. Répondue pour 2 terminaux fluviaux, 27 terminaux rail-route et 9 terminaux tri-modaux, cette enquête a permis de modéliser le fonctionnement de ces sites, notamment en matière de manutention et de stockage des UTI, afin de se faire une idée documentée et précise des capacités utilisées et le cas échéant encore utilisables. Pour le rail-route, sur la base d’un volume global de manutentions de 2,1 millions en 2021, cette recherche permet d’établir que :

  • les mêmes terminaux, exploités sans changement majeur, accueilleraient en 2032 3,4 millions de manutentions ;
  • l’introduction de « l’exploitation continue » (extension des horaires de fonctionnement jusqu’à 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24) accroîtrait de 0,6 million cette capacité, soit 4 millions de manutention ;
  • l’ajout de l’ensemble des terminaux en projet porterait cette capacité à 5,2 millions de manutentions.

A l’issue des discussions ayant suivi le partage de cette modélisation théorique avec les exploitants et le GNTC, il est ressorti 2 réalités importantes :

  • la capacité de manutention d’un terminal n’est jamais utilisée à 100% ; la morphologie des sites et leurs conditions de desserte (ferroviaire et routière) ainsi que leurs conditions d’exploitation (coûts, ressources humaines) induisent presque toujours des restrictions aux conditions d’exploitation, ce qui entraîne un taux d’utilisation réel de 85% en moyenne ;
  • il existe très peu de sites où une telle « exploitation continue » serait réalisable et même souhaitable ; dans leur quasi-totalité, les terminaux actuels, de par leurs marchés, leurs conditions d’exploitation mais aussi leur insertion urbaine, les territoires et les bassins d’emplois dont ils font partie empêchent ce genre d’optimisation.

Au final, la DGITM a estimé le taux de saturation moyen des terminaux ferroviaires de l’ordre de 58% en France, avec cependant des différences par grandes zones régionales comme l’indique la carte ci-dessous :

Il en ressort que la zone la plus saturée est celle du delta du Rhône (terminaux d’Avignon, Miramas et Marseille-Canet), suivie par celles de l’axe Seine et de Lyon-Dijon.

Cependant, en ce qui concerne les terminaux fluviaux, il se confirme qu’aucune restriction de capacité ne viendrait entraver le développement des trafics d’ici 2032.

Projections 2032 : l’ambition de développement ne peut se faire à infrastructures constantes

Le troisième chapitre du schéma directeur vise à quantifier le besoin de manutentions en conséquence de l’évolution attendue des trafics jusque 2032, sachant qu’après cette date un important potentiel de croissance reste prévisible pour le combiné au regard de divers facteurs (politique de réindustrialisation, verdissement de l’industrie, renforcement des « circuits courts »), selon l’étude prospective réalisée cette année par le cabinet MENSIA.

Aussi le schéma directeur compare-t-il d’abord 3 scénarios d’évolution, tous trois basés sur les mêmes hypothèses de croissance du trafic jusqu’en 2032 :

  • un scénario « fil de l’eau », sans aucun aménagement au parc actuel de terminaux ; la saturation de ceux-ci atteint alors virtuellement 154% en 2032, ce qui rend impossible le triplement du combiné ;
  • un scénario « de base », dans lequel sont mis en œuvre des projets connus d’aménagements et de création sur 28 sites différents ainsi que la réouverture de 5 sites (Morlaix, Niort, Cognac, Le Mans et Château-Gontier), le tout représentant une capacité opérationnelle additionnelle de 1,1 million de manutentions par an ; mais la saturation demeure générale, autour de 100%, ce qui altère les chances de tripler les trafics ;
  • un scénario « trajectoire SNDFF », dans lequel sont mis en œuvre, outre les projets du scénario de base, la création de terminaux entièrement nouveaux, dont la localisation sera à déterminer par grandes macro-zones comme indiqué dans la carte ci-après.

 

Cette carte se complète d’une analyse, pour chaque macro-zone, d’une analyse des extensions possibles et sites nouveaux envisageables.

Ce troisième scénario prend également en compte l’augmentation des capacités ferroviaires, sans lesquelles l’extension des capacités de manutention n’aurait pas grand sens. On trouvera donc dans le schéma directeur une synthèse des capacités de circulations (en nombre de trains) entre les différentes zones, matière importante appelée à être reprise par SNCF Réseau dans ses plans d’exploitation futur du réseau (« PER »).

Une feuille de route financière et opérationnelle

Dans sa dernière partie, le schéma directeur présente une évaluation du besoin financier d’investissement des différents projets, soit au total 1,1 milliard d’euros suivant le partage ci-dessous :

Il se complète d’un projet de chronogramme courant jusque 2032 et contenant les phases étude et réalisation des différents projets, ainsi que d’une évaluation des gains environnementaux et sociaux que ceux-ci rendraient possibles sur la période, soit en cumul 8,5 millions de tonnes d’équivalent CO2 et 2,6 milliards d’euros d’externalités négatives.

Des fiches projets détaillées

Le schéma directeur se prolonge par des fiches décrivant les différents projets, d’extension, de réouverture ou de création ex novo de terminaux intermodaux. Pour les créations ex novo, seuls les sites dont la localisation exacte est connue, sont mentionnés.

Pour conclure, on voit donc que ce schéma directeur offre au développement futur du transport combiné en France une assise prospective et un cadre cohérent. Le GNTC – et votre Combilettre – ne manqueront pas de suivre ces prochains mois le déploiement du schéma et l’achèvement de ses déclinaisons régionales, afin d’assurer l’atteinte de ses objectifs si stratégiques pour notre filière.