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Nos lecteurs se souviennent qu’au début de cette année la Combilettre s’était penchée sur plusieurs dossiers européens, stratégiques pour l’avenir du transport combiné et appelés à connaître d’importants développements en 2023.

La Commission ayant communiqué ses projets dans le détail, cette fin d’année est l’occasion de dresser un bilan d’avancement sur plusieurs d’entre eux, touchant à la révision de la directive de 1992 sur le transport combiné, à la réglementation des poids et des dimensions du transport routier, à la réglementation sur les capacités ferroviaires et à la réglementation sur le calcul des émissions de GES. C’est donc l’objet de ce Dossier du mois, qui s’efforce de mettre en perspective ces projets bruxellois avec les attentes et les espoirs de notre filière tels que les relaient le GNTC et son partenaire européen l’UIRR.

Préliminaire : Pacte Vert pour l’Europe et Fitfor55

En 2020, l’Union européenne a adopté une stratégie d’ensemble sur le climat, appelée « Pacte Vert pour l’Europe » (« Green Deal »), et destinée à faire du continent le premier espace neutre en carbone d’ici 2050. Dotée de 1800 milliards d’euros d’investissements, cette stratégie, également vouée à répondre à la crise sanitaire et à relancer la compétitivité européenne,  a été déclinée en 2021 par le paquet « Fitfor55 » visant une réduction de 55% des émissions de GES par rapport à leur niveau de 1990.

C’est donc dans ce cadre que la Commission a avancé cette année de nouvelles propositions pour le « verdissement du transport de fret », au regard de la part toujours importante des émissions de GES émanant de cette activité en Europe (30% du total des émissions). Le principal levier de ce verdissement est connu : augmenter de moitié d’ici 2030 la part modale du rail pour le transport de fret en Europe, et la doubler d’ici 2050.

Concrètement, la Commission souhaite atteindre ce « verdissement » par plusieurs modifications de la réglementation dont le détail a été déroulé les 11 juillet et 7 novembre derniers. Ces projets étant maintenant dans les mains du Parlement européen, on verra ci-après, pour chacun d’eux, l’essentiel de leur consistance et ce qu’ils pourraient apporter au développement du transport combiné en Europe, dont la Commission veut justement assurer la croissance dans l’optique de la décarbonation du transport.

La clé de voûte : la très attendue révision de la directive de 1992 sur le transport combiné

Depuis 1992, le transport combiné européen est régi par une directive, la 92/106/CE, qui a posé entre autres le cadre d’intervention des Etats membres pour leur soutien. Cet texte important a cependant vieilli et ne prend pas en compte la stratégie de verdissement de l’UE : c’est pourquoi, après de premières tentatives en 2017, la Commission souhaite amender la directive pour conforter et accélérer le développement du transport combiné en Europe.

Voici les 4 principaux axes de ces modifications :

  • une définition du transport combiné plus homogène, plus précise et mise à jour: dans ce premier axe figurent notamment des règles communes pour mesurer les coûts externes ainsi que des règles nouvelles sur l’identification de certaines UTI comme les semi-remorques non préhensibles.
  • un cadre légal rénové aux interventions des Etats membres : dans ce deuxième axe figurent notamment l’obligation faite aux Etats d’analyser la situation du transport combiné et de concevoir des stratégies de soutien comprenant toutes mesures réglementaires ou financières, l’obligation de publier ces éléments, un objectif de réduire par ces moyens de 10% les coûts du transport combiné de façon à en renforcer la compétitivité ainsi que la possibilité de faire circuler les camions en pré/post acheminement intermodal le week-end.
  • une exigence accrue de transparence sur les modalités de soutien au transport combiné pratiqué dans chaque Etat membre.
  • une exigence accrue de transparence sur les terminaux intermodaux, avec notamment une homogénéisation des services qu’ils offrent, ce dernier axe étant proposé en cohérence avec le développement des réseaux trans-européens de transport (« RTE-T)

Concernant le premier de ces axes, il faut préciser que la définition du transport combiné telle qu’elle figure dans la directive de 1992 est succincte et se limite à des critères physiques (par exemple : présence d’un trajet routier en pré/post-acheminement, limite de ce trajet à 150 km de rayon autour du terminal). Par la version actuellement prévue, la Commission cherche à rendre cette définition à la fois plus précise (ajout de nombreuses précisions sur les types d’opérations, les types d’UTI…) et plus en phase avec ses objectifs environnementaux (critères liés à l’existence de coûts externes diminués d’au moins 40% par rapport à la route).

De façon générale, cette révision de la directive de 1992, que la communauté européenne du combiné appelait de ses vœux depuis longtemps, est bienvenue et les objectifs généraux de la Commission à cet égard doivent être salués, à commencer par la reconnaissance de la performance du combiné en matière de coûts externes, l’homogénéisation des définitions de ces coûts externes et de leurs méthodes de calcul, ainsi que l’obligation aux Etats de concevoir et d’appliquer des stratégies de soutien et de développement.

Ceci étant, le texte tel qu’il est actuellement recèle aussi des problématiques, par exemple :

  • le fait que la définition du transport combiné intègre ce nouveau paramètre lié aux coûts externes éludés, dans une proportion d’au moins 40% par rapport au même transport effectué en mode routier. Comme aucun élément n’existe pour estimer l’impact de cette mesure, un risque existe qu’elle amène à disqualifier certains services intermodaux et donc à entraîner des reports modaux inversés.
  • l’obligation faite aux semi-remorques non préhensibles d’être désormais immatriculées comme le sont déjà les conteneurs maritimes, les caisses mobiles et les semi-remorques préhensibles. Or, plus de 85% des semi-remorques circulant en Europe ne sont pas préhensibles : cela revient à instaurer une nouvelle (et injustifiée) barrière à leur accès au transport combiné.

A noter, pour finir ce chapitre, que la révision de la directive n’a été détaillée par la Commission que le 7 novembre dernier : il faut donc s’attendre encore à de longs mois d’échanges avec les parties prenantes et les co-législateurs avant d’aboutir au texte final.

Une nouvelle réglementation pour optimiser les capacités ferroviaires destinées au fret

Concernant plus particulièrement le fret ferroviaire, la Commission estime que son développement passe par une meilleure allocation des capacités ferroviaires sur les réseaux, particulièrement à l’échelle européenne, à l’appui du réseau trans-européen de fret ferroviaire dont elle poursuit la mise en place.

C’est en ce sens que la Commission propose :

  • d’introduire pour les gestionnaires d’infrastructures (GI) la possibilité d’allouer des capacités initiales en permanence dans l’année, suivant une logique « roulante », plus flexible et non plus bornée par la commande annuelle ;
  • d’introduire pour les GI européens des obligations à se coordonner pour allouer les capacités sur les grands axes et corridors trans-frontaliers, y compris pour les capacités réservées aux travaux ;
  • d’obliger ces GI à coordonner l’allocation des capacités en ligne et des capacités dans les terminaux de fret, les unes et les autres n’étant pas toujours alignées ;
  • de renforcer le rôle du réseau européen des gestionnaires d’infrastructures (« ENIM » en anglais, créée en 2012), qui serait notamment chargé d’harmoniser, de surveiller et de publier les niveaux de performance de ses membres en matière d’allocation de capacités ;
  • de renforcer le rôle du réseau européen des autorités de régulation (« ENRRB » en anglais) sur les questions d’allocations de capacités transfrontalières ;
  • de formaliser les règles de compensations financières en cas d’annulations de capacités allouées.

Ces projets, qui entraînent la modification de deux textes (le règlement 913/2010 et la directive 2012/34/CE), sont dans l’ensemble louables, en particulier en ce qui concerne l’assouplissement du calendrier annuel d’allocation des capacités (dont pourrait grandement bénéficier le fret ferroviaire et le combiné) ou la coordination accrue des allocations de capacités au plan européen.

Ceci étant, ces projets doivent être améliorés sur plusieurs points, par exemple sur le rôle des entreprises ferroviaires qui semble être affaibli à travers ces textes face aux GI, ou bien sur le détail des objectifs de performance qui seront assignés à ceux-ci, ou encore sur la date bien tardive de déploiement de ces mesures (2030).

La problématique de la révision de la réglementation sur les poids et dimensions des poids lourds

Un autre de ces dossiers constitutifs de ce « verdissement du fret » touche aux poids et dimensions des camions, qui est l’objet de réglementations européennes datant de 1996 (directive 96/53/CE), 2015 et 2019.

Dans ces différents textes, la Commission avait cherché à harmoniser les règles du marché européen du transport routier, de limiter l’usure des infrastructures routières, d’accroître la sécurité du transport routier et (plus récemment) de limiter la consommation énergétique des camions et de favoriser l’intermodalité.

D’après son rapport de 2022, la Commission soulignait que ces deux derniers objectifs n’avaient pas été couronnés de succès et elle l’imputait notamment à l’insuffisante massification du transport routier. C’est pourquoi, pour renforcer celle-ci, elle est amenée maintenant à proposer :

  • le relèvement à 44 tonnes des tonnages maximums des camions effectuant un transport transfrontalier entre deux Etats membres autorisant cette limite pour leurs transports intérieurs ; cette facilité serait toutefois réservée à partir de 2035 aux seuls véhicules « zéro émission » ;
  • l’autorisation de systèmes modulaires routiers (EMS), aussi connus sous les expressions « megatrucks » ou « gigatrucks », pour un transport transfrontalier entre deux Etats membres autorisant ces véhicules pour leurs seuls transports intérieurs ;
  • l’allongement de certains véhicules routiers comme les camions transportant des automobiles, qui passent de 18,75 m à 20,75 m ;
  • la possibilité pour les camions-remorques et semi-remorques, dans le cadre du transport intermodal, de transporter des charges supplémentaires (4 tonnes de plus) et d’une hauteur supplémentaire (30 cm de plus).

De façon générale, ces propositions sont problématiques en ce qu’elles tendent à renforcer la massification du transport routier dans son ensemble, et lorsqu’elles tentent de la limiter aux seuls transports routiers s’effectuant dans un cadre intermodal elles semblent dénuées d’efficacité. En voici deux exemples :

  • le relèvement à 44 tonnes des transports transfrontaliers renforce la massification du transport routier ; pour le cas de la France, les tonnages maximums actuels étant à 40 tonnes (mais 42 et 44 tonnes pour les transports intermodaux), la mesure est clairement perdante pour le transport combiné ;
  • la charge supplémentaire à 4 tonnes est d’un intérêt quasi nul pour le combiné actuel, tout comme les 30 cm de hauteur supplémentaire qui excèdent les 4 m du gabarit routier actuel.

De plus, il faut se souvenir que le GNTC travaille depuis plusieurs années, avec le ministère et la profession routière, à promouvoir le relèvement à 46 tonnes des transports routiers en pré/post acheminement du combiné pour les flux nationaux. Ce projet, qui doit faire l’objet de prochaines expérimentations, pourrait se retrouver biaisé par le relèvement général à 44 tonnes.

Une nouvelle approche méthodologique commune pour le calcul des émissions de GES

Dernier volet des propositions bruxelloises destinées à verdir les transports, la proposition touchant au calcul de leurs émissions de GES, appelée « CountEmissionsEU » et présentée en juillet dernier.

Le but de cette proposition est simple : améliorer le calcul de ces émissions de GES et compléter les informations qui s’y rapportent, de façon à renforcer le choix des clients. Pour ce faire, elle établit un cadre réglementaire commun, fondé sur une norme ISO, pour la comptabilisation des émissions de GES des services de transport tout au long de la chaîne de transport multimodal, créant ainsi des conditions de concurrence équitables entre les modes, les segments et les réseaux nationaux de l’UE. Ce projet ne rend pas obligatoire le calcul ou la déclaration des émissions de GES, mais exige de suivre ce cadre s’il y a communication de données ou si ces calculs et cette communication sont requis par le droit national applicable.

Synthèse et conclusion : 2024, et après ?

On l’a vu, les propositions de la Commission européenne ont été foisonnantes cette année et sont susceptibles de toucher profondément – positivement et négativement – le transport combiné, ses modèles économiques et sa trajectoire de développement.

Même si on semble encore loin de conclure cet épais dossier européen, a fortiori parce que 2024 verra le renouvellement du Parlement européen et de la Commission, on peut d’ores et déjà retenir un message, qui est celui du GNTC et de tous ses membres : il faut baser toutes ces évolutions réglementaires sur une même vision d’avenir et donc un même cadre de travail, doté d’un même calendrier partagé. En particulier, la directive sur les poids et dimensions du transport routier, dont le traitement est plus avancé, ne peut pas être analysée et adoptée indépendamment de la directive sur le transport combiné. Nous portons donc l’exigence de lier ces textes et d’aboutir à un « paquet » commun et cohérent, axé sur le développement du transport combiné sur les dix prochaines années.