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La nouvelle CSRD européenne du 1er janvier 2024 : quels changements pour les entreprises du transport combiné ? 

Depuis le 1er janvier 2024 est entrée en vigueur la nouvelle directive européenne « CSRD ». Composante importante du Pacte vert (« Green Deal ») de 2021, ce texte introduit, pour les entreprises de l’Union européenne (UE), de nouvelles obligations en matière de performance extra-financière et de responsabilité sociétale et environnementale, la célèbre RSE.

Ces changements, qui vont être progressivement mis en œuvre, sont tout sauf anodins pour les entreprises concernées et il convient de s’y préparer dès à présent. C’est l’ambition de ce Dossier du mois de proposer à nos lecteurs, et notamment aux acteurs du transport combiné, quelques informations de cadrage et d’analyse destinées à les aider dans cette démarche de changement.

En préalable, un peu d’historique sur la RSE (Responsabilité sociétale et environnementale) des entreprises

C’est dans la deuxième moitié du XXe siècle qu’est apparue l’idée que les entreprises détiennent une responsabilité spécifique sur les sociétés humaines et l’environnement, en plus de leurs strictes obligations légales afférentes à leurs activités économiques et à leur qualité d’employeur.

Cette idée apparaît notamment dans le rapport Bruntland de 1987, ce fameux appel de l’ONU qui appelait les Etats, mais également les citoyens, les collectivités locales et les entreprises, à promouvoir un développement économique mondial plus inclusif et plus respectueux de l’environnement, le fameux « développement durable ».

C’est ainsi que depuis 30 ans se sont succédées des vagues de réglementation incitant les entreprises à pivoter dans la voie d’une Responsabilité sociétale et environnementale (RSE), mesurable par des critères « ESG » (environnementaux, sociétaux et de gouvernance). Pour la France, cette évolution est marquée de plusieurs points d’orgue :

  • en 2001, la loi « Nouvelles Régulations économiques » (NRE) qui demande aux entreprises cotées de prendre en compte et de publier les conséquences sociales et environnementales de leurs activités ;
  • en 2014, la directive européenne « NFRD » (« Non Financial Reporting Directive »), obligeant pour la première fois les grandes entreprises à suivre et publier leurs performances ESG ; cette directive entraîne en France le décret du 9 août 2017 sur la « Déclaration de performance extra-financière » (DPEF) instaurant un cadre homogène d’objectifs RSE ;
  • en 2019, la loi « Plan d’actions pour la croissance et la compétitivité des entreprises » (PACTE) sur la prise en compte de la RSE dans la stratégie des entreprises ;
  • en 2021, la loi Climat et Résilience introduisant, dans la DPEF, l’objectif de décarbonation des transports et le recours au transport ferroviaire.

Parallèlement à ce mouvement réglementaire, la RSE a donné lieu à toutes sortes d’engagements volontaires des entreprises, dans le sillage de l’appel de Davos (1999) lancé par les grandes entreprises pour promouvoir la RSE. Celle-ci a été formalisée dans la norme ISO 26000 parue en 2010.

La crise climatique accroît les risques

Inutile de rappeler ici le contexte de la crise climatique, à laquelle chacun est sensible depuis plusieurs années. Il faut seulement avoir en tête qu’à l’horizon 2100, entre scénarios optimistes et pessimistes, les températures seront entre 1,5 et 6 degrés plus élevées, les évènements climatiques entre 11 et 30% plus intenses, et surtout le PIB mondial sera amputé de 8 à 30%.

C’est donc également pour ces raisons économiques que la réglementation RSE se développe : elle ambitionne d’aider les entreprises à mieux maîtriser leurs risques et à réduire leur exposition au changement climatique et au carbone.

L’investissement ESG en plein essor

Selon le rapport annuel 2023 du cabinet PwC sur l’investissement responsable, mené auprès de plus de 150 sociétés de capital-investissement à travers le monde, 69 % des sociétés de gestion interrogées considèrent que les critères ESG font partie des priorités pour créer de la valeur dans leur stratégie d’investissement, et 56 % des investisseurs ont déjà interrompu une transaction pour des raisons liées aux critères ESG.

En 10 ans, leurs perspectives ont grandement évolué : alors qu’auparavant, l’intégration de l’ESG dans le métier d’investisseur était motivée par la gestion des risques, les répondants sont aujourd’hui convaincus que la gestion des critères ESG contribue à la protection ainsi qu’à la création de valeur pour leurs entreprises et actifs en portefeuille. Selon PwC, l’investissement responsable a atteint en 2023 un montant de 1600 milliards de dollars au plan mondial.

Principales dispositions de la CSRD

C’est donc dans ce contexte que s’inscrit la volonté de l’UE d’accroître le champ d’application de ces règles et de renforcer leur harmonisation. Ce double objectif est la base de la « Corporate Sustainability Reporting Directive » ou CSRD, entrée en vigueur le 1er janvier 2024.

La CSRD modifie quatre textes européens existants : la directive Comptable, la directive Transparence, la directive Audit et le règlement Audit. Les principaux changements introduits, en comparaison de la directive NFRD de 2014 et du décret de 2017, sont :

  • un champ d’application élargi : un nombre significativement plus important de sociétés seront concernées par les obligations de reporting, et en particulier toutes les sociétés (sauf micro-entreprises) cotées sur les marchés réglementés européens ;
  • un renforcement et une standardisation des obligations de reporting : en s’appuyant sur des normes européennes harmonisées, les entreprises devront publier des informations détaillées sur leurs risques, opportunités et impacts matériels en lien avec les questions sociales, environnementales et de gouvernance, selon le principe de « double matérialité » (cf. ci-après);
  • une localisation unique : le reporting de durabilité sera publié dans une section dédiée du rapport de gestion ;
  • un format digital imposé : le rapport de gestion sera publié dans un format électronique unique européen xHTML ;
  • une vérification obligatoire de l’information par un commissaire aux comptes ou un organisme tiers indépendant, dans un premier temps avec un niveau d’assurance « modérée ». Un passage au niveau d’assurance « raisonnable » pourrait être requis à compter de 2028. Par ailleurs, les auditeurs devront appliquer des standards d’assurance et les règles encadrant leurs missions seront renforcées par la directive et le règlement Audit.

De nouvelles normes de reporting de durabilité

La CSRD crée des normes de reporting de durabilité détaillées, dites normes « ESRS » (European Sustainability Reporting Standards), permettant d’encadrer et d’harmoniser les publications des sociétés. Ces normes, qui seront progressivement adoptées, sont de plusieurs types :

  • des normes « universelles », applicables à l’ensemble des sociétés quel que soit leur secteur d’activité, elles couvrent les enjeux transversaux ainsi que l’ensemble des thématiques socio-environnementales ;
  • des normes sectorielles ;
  • des normes spécifiques pour les PME cotées sur les marchés réglementés.

La Commission européenne a mandaté l’EFRAG, le groupe consultatif européen sur l’information financière, pour la préparation de ces normes. L’EFRAG a ainsi publié en novembre 2022 une première série de projets pour ces normes, projets qui seront revus par la Commission européenne avant leur adoption.

Néanmoins, les ESRS sont d’ores et déjà classées en 12 standards de reporting, dont 5 sont consacrés à la thématique environnementale et 1 sur le changement climatique. Particulièrement novatrice, cette dernière a pour objectif :

  • de comprendre comment l’activité de l’entreprise se répercute, de manière positive ou négative, sur le changement climatique,
  • de comprendre les efforts d’atténuation passés, actuels et futurs de l’entreprise pour respecter l’Accord de Paris sur le climat et l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré,
  • de comprendre la nature, le type et l’étendue des risques et opportunités résultant des impacts et dépendances de l’entreprise vis-à-vis du réchauffement climatique,
  • de comprendre les effets financiers à court, moyen et long terme résultant des impacts et dépendances de l’entreprise au changement climatique.

Comme toutes les normes ESRS, cette norme sur le changement climatique repose sur des obligations d’informations, qualitatives ou quantitatives, donc sur des données à collecter pour ensuite les analyser. En voici quelques-unes :

  • obligation de divulgation des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’entreprise, dans les scopes 1, 2 et 3 ;
  • obligation de divulgation du plan de transition de l’entreprise pour l’atténuation du changement climatique ;
  • obligation de divulgation des actions d’atténuation et d’adaptation mises en place par l’entreprise et les ressources qui y sont allouées ;
  • obligation de divulgation des objectifs climatiques pris par l’entreprise ;
  • obligation de divulgation des effets financiers potentiels des risques climatiques physiques et des risques de transition.

Les entreprises peuvent donc dès maintenant anticiper ces normes, se préparer à la CSRD en réalisant leur bilan carbone et en mettant en place une stratégie de baisse des émissions de GES et d’adaptation au changement climatique.

Une méthode unifiée pour construire le reporting RSE : l’analyse de la double matérialité 

La CSRD prescrit aux entreprises une méthode commune pour évaluer leur impact et construire leur reporting : l’analyse dite de la « double matérialité ». Tous les critères ESG (changement climatique, biodiversité, sujets sociaux, gouvernance, etc…) seront soumis à une analyse de double matérialité :

  • matérialité financière : prendre en compte les impacts positifs et négatifs des enjeux de durabilité sur les performances financières de l’entreprise ;
  • matérialité d’impact : prendre en compte les impacts positifs et négatifs de l’entreprise sur son environnement économique, social et naturel.

Cette analyse de double matérialité doit ainsi permettre à l’entreprise d’identifier les principales thématiques sur lesquelles l’environnement extérieur ou ses activités représentent des impacts, des risques ou des opportunités en matière de durabilité ESG. Si cela est significatif, ces impacts, risques ou opportunités devront figurer dans le reporting extra-financier de l’entreprise.

Plus de 50 000 entreprises concernées dans l’UE par les nouvelles obligations de reporting

L’obligation de publier un reporting de durabilité en application de la CSRD s’applique de manière progressive. Elle concerne les sociétés financières et non-financières dans le champ d’application de la directive Comptable et de la directive Transparence et qui correspondent aux catégories suivantes :

  • toutes les sociétés cotées sur les marchés réglementés européens, à l’exception des microentreprises telles que définies par la directive Comptable : sont donc concernées les PME cotées. Toutefois, les PME bénéficient d’obligations de reporting allégées (normes spécifiques).
  • toutes les autres grandes entreprises européennes, c’est-à-dire, selon la directive Comptable, les sociétés, cotées ou non, au-dessus de deux des trois seuils suivants : 250 salariés ; 40 M€ de chiffre d’affaires et 20 M€ de total de bilan.
  • par le biais de leur(s) filiale(s) ou succursale(s) européenne(s), certaines sociétés non-européennes pour autant que leur chiffre d’affaires réalisé dans l’UE soit supérieur à 150 M€. Des critères de taille au niveau des filiales et succursales européennes sont également à prendre en compte. Toutefois, ces sociétés non-européennes doivent uniquement fournir des informations relatives à leurs impacts socio-environnementaux (et non celles liées à leurs risques et opportunités)

Au total, on estime à 50 000 le nombre d’entreprises désormais concernées par les obligations issues de la CSRD. Jusque là, seules 11 000 l’étaient par les obligations NFRD.

Un calendrier d’application étagé jusqu’en 2029

La directive CSRD a été publiée au journal officiel de l’UE le 16 décembre 2022. Elle entrera progressivement en application à compter du 1er janvier 2024. Il est en effet prévu une entrée en application différée pour certaines catégories d’entreprises. Le tableau ci-dessous détaille ce calendrier.

Catégories d’entreprises Exercice de référence Premier reporting en :
Grandes entreprises européennes et non européennes vérifiant les seuils de la NFRD

Entités d’intérêt public européennes (au sens de la directive Comptable – qui comprennent les sociétés européennes cotées sur un marché réglementé européen) et sociétés non européennes cotées sur un marché règlementé européen, qui satisfont les deux critères suivants :

  • >500 salariés
  • >40M€ CA et/ou >20M€ de total de bilan
2024 2025
Autres grandes entreprises européennes et non-européennes

Toutes les autres sociétés européennes qui satisfont au moins deux des critères suivants :

  • >250 salariés
  • >40M€ CA
  • >20M€ de total de bilan

Toutes les sociétés non-UE cotées sur un marché réglementé UE qui satisfont deux des trois critères mentionnés ci-dessus.

2025 2026
PME cotées sur marché règlementé européen

Toutes les PME UE et non-UE cotées sur un marché règlementé européen, sauf les microentreprises

(Microentreprise : société ne dépassant pas deux des critères suivants : 10 salariés, 250K€ de total de bilan, 700K€ de CA).

2026 – possibilité de reporter à 2028* 2027 – possibilité de reporter à 2029*
Autres grandes entreprises non-européennes

Sociétés non européennes ayant un chiffre d’affaires européen supérieur à 150M€ et une filiale ou succursale basée dans l’Union européenne.

2028 2029

* Pendant une période transitoire de deux ans, jusqu’en 2028, les PME cotées sur les marchés réglementés ont la possibilité de ne pas appliquer les exigences de reporting de la CSRD, pour autant qu’elles indiquent brièvement dans leur rapport de gestion les raisons pour lesquelles elles s’en abstiennent.

Le champ d’application de la CSRD pour les entreprises françaises du transport combiné

Pour résumer, la CSRD accentue et formalise les obligations de reporting des entreprises en matière de développement durable, ce qui certes représente pour elles une contrainte nouvelle, mais leur apporte aussi l’opportunité de mieux communiquer sur leurs efforts, de renforcer leur pilotage de la performance extra-financière et in fine d’accroître leur valeur.

De fait, les entreprises de notre filière continueront leurs efforts : qu’elles soient opérateurs de transport combiné, transporteurs routiers et fluviaux, exploitants de terminaux, elles mettent déjà en œuvre des mécanismes pour mesurer, réduire et relater leurs émissions de GES, améliorer la durabilité de leurs installations en matière d’énergie, d’eau, de déchets, améliorer les conditions de travail de leurs collaborateurs, renforcer leur gouvernance et la prise en compte des parties prenantes.