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Avec la profession fluviale, le GNTC est associé depuis 2023 à une réflexion pilotée par l’Etat sur l’optimisation de certains frais de manutention portuaires (improprement dénommés « THC ») supportés par les opérateurs fluviaux dans plusieurs ports en France. Ce dossier complexe et ancien touche directement au transport combiné, car ces frais sont imputés aux manutentions de conteneurs et peuvent entraîner des distorsions de concurrence, à la fois entre modes et entre ports. Pour remettre à plat cette problématique dans l’intérêt de toutes les parties prenantes, les pouvoirs publics se mobilisent avec celles-ci au sein du CCIL de l’axe Méditerranée – Rhône – Saône. Dans l’espoir que cette démarche aboutisse prochainement, nous vous proposons ce Dossier du mois présentant un petit historique et une synthèse de ce sujet.

 

Les THC, reflet universel des frais de manutention dans les ports

Dans la profession maritime internationale, les « Terminal Handling charges » (THC), ou « frais de manutention portuaires », correspondent aux frais de chargement / de déchargement des conteneurs sur le/du navire ainsi que des prestations de service associées au transit de ce conteneur (déplacement sur le quai avant ou après l’entrée ou la sortie, dites Gate in ou Gate out) ; les THC couvrent aussi les coûts supportés par les armateurs pour faire revenir les conteneurs vides. Tous ces frais viennent en plus du taux de fret, qui est, lui, le prix du transport maritime stricto sensu.

Facturés sous forme forfaitaire dans tous les ports du monde par l’armateur au chargeur, leur montant varie selon différents critères, comme :

  • le type de conteneur et sa taille (20 pieds, 40 pieds…) ;
  • la compagnie maritime donneuse d’ordres, car les THC sont négociés par les compagnies sur la base du volume de leur trafic ;
  • le port de chargement/déchargement, selon le niveau d’équipement de la manutention portuaire ainsi que des conventions sociales et contrats commerciaux passés entre les services de manutentions (publics ou privés) et l’administration portuaire.

Ces charges portuaires sont donc extrêmement variables : de moins de 50 euros pour un conteneur 20 pieds au port de Tuticorin (Inde), elles peuvent s’élever, pour le même conteneur, à 350 euros à New York ou Los Angeles !

En France, pour simple rappel du contexte, l’organisation des 11 grands ports maritimes est régie par les lois de 1992 et de 2008 qui prévoient que les manutentions sur le domaine portuaire sont assurées par des opérateurs privés, titulaires de concessions de service public, et qui sont à la fois employeurs des personnels dockers et détenteurs de l’outillage.

 

Une « surcharge » aux THC pour les manutentions fluviales

Dans le dernier quart du XXe siècle, la forte expansion du transport maritime par conteneurs entraîne le besoin de développer des transports massifiés pour les pré- ou post-acheminements  afin de réduire la congestion du réseau routier et atteindre des hinterlands lointains. Ces transports massifiés sont majoritairement ferroviaires, mais certains ports ont l’opportunité de s’appuyer aussi sur le transport fluvial. Sur l’axe Seine, par exemple, de premiers services réguliers de barges porte-conteneurs apparaissent dans les années 90.

Pour manutentionner un conteneur du quai vers la barge ou vice-versa, les entreprises ne peuvent cependant pas recourir aux cavaliers ou reachstakers utilisés pour charger le conteneur sur un camion ou un wagon ; la différence de hauteur oblige à mobiliser des portiques similaires à ceux utilisés pour le maritime – des équipements plus coûteux et plus complexes à conduire. C’est pour ces raisons qu’apparaissent des redevances supplémentaires (ou « surcharges ») en regard de ces prestations, sur les ports de Marseille-Fos, Le Havre, Dunkerque et (marginalement) Rouen.

Ces facturations, imputées par les manutentionnaires aux opérateurs fluviaux, intègrent divers paramètres (volumes, shifts, situations) et représentent selon plusieurs experts entre 50 et 60 euros en moyenne par manutention de conteneur. A Marseille-Fos, par exemple, il est communément admis que cette charge représente un surcoût de manutention de l’ordre de 10 % sur le coût total du post-acheminement des flux import vers l’agglomération lyonnaise.

C’est ici qu’apparaît la problématique de ce dossier, une certaine distorsion de concurrence entre les modes terrestres (routier et ferroviaire) et le fluvial, les premiers ne supportant pas cette « surcharge », à la différence des seconds. Plus généralement, ces coûts de manutention apparaissent comme un frein au développement du transport fluvial de conteneurs, à une époque où les stratégies transport en Europe et en France cherchent justement à le favoriser au titre du report modal et de la décarbonation des chaînes logistiques.

Sur ce point, gardons à l’esprit que les pré/post acheminements des conteneurs s’effectuent encore en France massivement par la route. Au Havre, premier port français pour les conteneurs, la part des modes massifiées est de l’ordre de 5% en ferroviaire et 10% en fluvial – des proportions de respectivement 15% et 5% à Fos. Le massifié à Anvers comptant pour plus de 30%, on voit que les marges d’amélioration sont significatives.

C’est pourquoi cette problématique est au cœur des préoccupations de la filière fluviale. Avec elle, dès 2014, le préfet François Philizot, Délégué interministériel pour l’axe Seine, cherchait une solution sur le cas du Havre. En 2022, l’armement naval CMA-CGM décidait de prendre à sa charge ces facturations sur Marseille-Fos ainsi qu’au Havre pour les accès directs aux terminaux maritimes – mais pas pour les volumes via le terminal multimodal. Cependant la démarche de concertation la plus aboutie s’est observée sur le port de Dunkerque.

Sur le port de Dunkerque, un précédent réussi dès 2016

Troisième port de France après Marseille-Fos et Le Havre, Dunkerque se distingue par la très forte croissance de ses trafics de conteneurs, qui ont triplé depuis 15 ans et ont atteint 650 000 EVP en 2023. Ce succès découle de différents facteurs : positionnement stratégique sur le « range nord », proximité des bassins de production et de consommation des Hauts-de-France et du Benelux, mais également stabilité sociale et efficacité de l’outil productif, concentré sur quelques sites jouissant d’une bonne desserte routière, ferroviaire et fluviale.

Ceci étant, aux yeux de ses responsables, une fraction de ce succès est également imputable à la solution originale trouvée dès 2016 à cette problématique des coûts supplémentaires de manutention fluviale. « A Dunkerque, la volonté était très forte de développer le transport fluvial en pré/post-acheminement, or ces surcharges constituaient un frein et l’opérateur bargiste ne s’y retrouvait pas », explique Régis Vereecque, responsable CRM et multimodalité au Grand Port maritime.

Une démarche de concertation approfondie a donc été entamée avec tous les acteurs de la place, chargeurs, armement naval, sociétés de manutention, bargistes et administration portuaire – mais également les institutions dunkerquoises et fédérations professionnelles. Le dialogue, structuré en différents groupes de travail, a été long et parfois tâtonnant ; il a finalement abouti à un compromis par lequel les THC englobent désormais le rechargement d’un conteneur sur le mode de transport en post-acheminement, qu’il soit fluvial, routier ou ferroviaire (et vice-versa). « La clé de cette démarche est de mettre en place un climat de dialogue serein, pour rassembler autour de la table de négociation les principaux acteurs de la chaîne de transport (manutentionnaires, armateurs et opérateurs de barges) afin de trouver un consensus » insiste Régis Vereecque.

Le CCIL s’empare du sujet et organise une concertation

Dans le sillage des stratégies de l’Etat pour décarboner les filières de logistique et de transport des marchandises, il a été créé en 2022 un « conseil de coordination interportuaire et logistique » (CCIL) Méditerranée – Rhône – Saône dans le but de créer un ensemble fluvio-maritime sur cet axe majeur. Piloté par la préfecture de Région Auvergne – Rhône – Alpes, préfecture coordonnatrice de bassin, le CCIL s’est saisi de cette problématique des coûts spécifiques à la manutention fluviale à Marseille-Fos, son but étant de parvenir à la non-discrimination entre les différents modes de transport et ainsi  de renforcer la compétitivité du transport fluvial.

A cet effet, pour amorcer le dialogue entre les parties prenantes, le CCIL a missionné Monsieur Eric Legrigeois, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, pour amorcer le dialogue entre les parties prenantes et piloter la concertation. Le but de ces discussions est de trouver un nouvel équilibre économique satisfaisant pour toutes ces parties, chargeurs, compagnies maritimes, sociétés de manutention, opérateurs fluviaux, autorités portuaires et Etat.

Le CCIL a souhaité que ces parties s’entendent sur la base d’un « accord de place », mais à défaut, il n’exclura pas de proposer une législation ad hoc, eu égard à l’importance de ce sujet vital pour la filière.

Le résultat de cette concertation est attendu devant le CCIL pour le premier semestre 2025.