Les certificats d’économies d’énergie (CEE) et leur utilisation en faveur du transport combiné
Le 31 décembre dernier, le Gouvernement a publié au « Journal Officiel » une nouvelle fiche CEE destinée à soutenir les projets de report modal du routier vers le fluvial. Créés il y a presque 20 ans, les CEE, comme certificats d’économies d’énergie, sont devenus un outil puissant de la stratégie nationale de réduction des consommations énergétiques. Si ces fiches sont connues du grand public par le bénéfice qu’il en retire en matière d’isolations thermiques et de chauffage domestique, elles contribuent également aux politiques publiques en faveur du report modal et du transport combiné. C’est donc l’occasion d’ouvrir cette année 2025 par un Dossier du mois consacré aux CEE et à leurs applications pratiques au bénéfice du transport combiné.
La fiche CEE 117, publiée le 31 décembre 2024
Depuis 20 ans, un dispositif central des politiques d’efficacité énergétique
C’est dans le cadre de la politique nationale d’efficacité énergétique que la loi du 13 juillet 2005 a créé les Certificats d’économies d’énergie (CEE). Son principe fondamental est d’imposer à certains acteurs du marché de l’énergie l’obligation de soutenir des actions d’économies d’énergie. Ces acteurs, les fournisseurs d’énergie (sous toutes ses formes : électricité, gaz, GPL, chaleur, froid, fioul domestique, carburants, etc.), mais également les vendeurs d’énergie (comme les entreprises de distribution de carburants), sont appelés obligés. Les actions d’économies d’énergie éligibles au dispositif sont décrites dans des fiches standardisées, appelées usuellement « fiches CEE ».
En contrepartie de cet effort, les obligés reçoivent des CEE. Lorsqu’un obligé n’atteint pas le niveau d’effort prescrit par le dispositif, il peut acheter des CEE proposés par un autre obligé qui, lui, a dépassé le sien : le dispositif CEE est donc construit sur une logique de marché.
Le dispositif CEE est aujourd’hui piloté par le Ministère de la transition écologique ; sa gestion administrative est assurée par l’ADEME. C’est le Ministère qui fixe, pour chaque période de fonctionnement du dispositif, l’objectif national d’économies d’énergie exprimé en térawattheures « cumulés actualisés » (TWh cumac), correspondant à l’énergie économisée sur la durée de vie de l’action menée. Cet objectif, fixé par décret après consultation des parties prenantes, est en cohérence avec les directives européennes sur l’efficacité énergétique (notamment la directive 2012/27/UE), les engagements de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) ainsi que les contributions de la France aux objectifs climatiques internationaux, comme ceux de l’Accord de Paris de 2015.
Depuis 2005, cinq périodes se sont ainsi succédé, avec chaque fois un objectif national revu à la hausse :
Période – Années – Objectif (en TWh cumac)
1ère période 2006-2009 – 54
2ème période 2010-2013 – 345
3ème période 2014-2017 – 700
4ème période 2018-2021 – 2133
5ème période 2022-2025 – 2500
Au total, en 2020, le dispositif a permis à la France, au travers de plus de 1 million d’opérations, d’économiser 106 TWh soit 6,5% de sa consommation énergétique annuelle, pour un coût estimé autour de 6 milliards d’euros.
Les fiches CEE : structure et fonctionnement
Les actions éligibles sont décrites dans des « fiches CEE » qui présentent l’objet et les modalités de l’action, appelée « opération standardisée d’économie d’énergie ». Les fiches sont élaborées après un travail de concertation entre l’Etat (Direction générale de l’énergie et du climat, DGEC), l’ADEME et l’Association techique énergie environnement (ATEE) ; elles sont classées par secteurs, au nombre de 6 (résidentiel, tertiaire, industriel, agricole, réseaux, transport). Actuellement, le catalogue officiel comporte 230 fiches CEE, dont 37 sur les transports.
Chaque fiche est composée :
• d’une part, de la description de l’opération standardisée elle-même, définissant les exigences et le forfait d’économies d’énergie,
• et d’autre part, de la partie A de l’attestation sur l’honneur prévue par l’arrêté du 4 septembre 2014 précisant la composition d’une demande de certificats d’économies d’énergie ainsi que les documents que doivent archiver les demandeurs.
Cette partie A est propre à chaque fiche et reprend les critères de la fiche correspondante sur lesquels s’engagent le bénéficiaire et le professionnel à l’issue des travaux.
Les fiches CEE en faveur du transport combiné
Depuis plusieurs années, la gamme des actions en matière de transport s’est enrichie en faveur du transport combiné ou du report modal, dans le droit fil de la stratégie bas carbone de l’Etat et de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire. Rappelons que la France et l’Union européenne sont engagées à rendre leurs économies neutres en carbone en 2050, et que les transports de marchandises doivent à ce titre mettre en œuvre un important effort de verdissement dont un des leviers est le report modal : le transport combiné français doit ainsi tripler son volume d’ici 10 ans.
C’est dans cette logique qu’il nous paraît intéressant de présenter ci-après les principales fiches CEE offertes aux acteurs :
• la fiche TRA-EQ-101 « unité de transport intermodal pour le transport combiné rail-route » ;
• la fiche TRA-EQ-107 « unité de transport intermodal pour le transport combiné fluvial-route » ;
• la fiche TRA-EQ 108 « wagon d’autoroute ferroviaire » ;
• la fiche TRA-SE 116 « fret ferroviaire » ;
• la récente fiche TRA-SE-117 « fret fluvial ».
Le numéro de ces fiches indique qu’elles relèvent du secteur des transports (« TRA ») et qu’elles viennent appuyer soit une opération d’équipement (« EQ ») soit un service (« SE »).
Les présentations qui suivent ne sont que générales et indicatives. On recommande de se reporter aux sites officiels de l’administration pour plus de précisions (cf. webographie à la fin de ce Dossier du mois).
La fiche TRA-EQ-101 : « unité de transport intermodal pour le transport combiné rail-route »
• création : arrêté ministériel du 22/12/2014
• objectif : promouvoir le transport combiné rail-route appliqué au transport interurbain de marchandises
• objet : acquisition (achat ou location) d’une unité de transport intermodal (UTI) neuve (caisse mobile ou semi-remorque à prise par pinces) dédiée au transport combiné rail-route
• remarques : les containers maritimes de type ISO ne sont pas éligibles à cette opération ; les UTI ne peuvent être utilisées que pour des services de transport combiné intérieurs ou ayant un terminal d’origine ou de destination situé en France.
La fiche TRA-EQ-107 « unité de transport intermodal pour le transport combiné fluvial-route »
• création : arrêté ministériel du 31/07/2015
• objectif : promouvoir le transport combiné fleuve-route appliqué au transport de marchandises
• objet : acquisition (achat ou location) d’une unité de transport intermodal (UTI) neuve (caisse mobile ou semi-remorque à prise par pinces) de toute taille (de 20 à 45 pieds) dédiée au transport combiné fluvial-route.
• remarques : les containers maritimes de type ISO ne sont pas éligibles à cette opération ; les UTI ne peuvent être utilisées que pour des services de transport combiné intérieurs ou ayant un terminal d’origine ou de destination situé en France.
La fiche TRA-EQ 108 « wagon d’autoroute ferroviaire »
• création : arrêté ministériel du 22/12/2015
• objectif : promouvoir le transport ferroviaire de semi-remorques (ou « autoroute ferroviaire ») destiné au transport de marchandises entre deux terminaux de transbordement dont l’un au moins est situé en France métropolitaine.
• objet : achat ou location d’un wagon d’autoroute ferroviaire neuf.
• remarques : les wagons ne peuvent être utilisés que pour des services de transport combiné intérieurs ou ayant un terminal d’origine ou de destination situé en France ; les termianux considérés doivent être adaptés pour le chargement / déchargement des semi-remorques (on entend par « chargement » l’action de positionner la semi-remorque sur le wagon et par « déchargement » l’action de sortir la semi-remorque du wagon).
La fiche TRA-SE 116 « fret ferroviaire »
• création : arrêté du 21/10/2022
• objectif : promouvoir le transport sur le territoire national de marchandises par chemin de fer.
• objet : mise en place d’un contrat de prestation de service de fret ferroviaire concernant des marchandises. Sont éligibles les tonnes-kilomètres réalisées, sur le territoire national, en transport conventionnel de marchandises et les tonnes-kilomètres transportées par le biais d’un conteneur maritime. Sont exclues les tonnes-kilomètres opérées par les entreprises non régulièrement autorisées à circuler sur le réseau ferré national français et réalisées sur des entités à périmètres restreints telles que des installations industrielles, des ports, ou similaires.
• remarques : cette fiche ne concerne pas les services de transport combiné rail-route continentaux. De plus, la fiche a été modifiée récemment et prorogées : les opérations peuvent être engagées jusqu’au 31 décembre 2029.
La fiche TRA-SE-117 « fret fluvial »
• création : arrêté du 31/12/2024
• objectif : promouvoir le transport de marchandises par voie fluviale sur le territoire national
• objet : mise en place d’un contrat de prestation de services de fret fluvial concernant des marchandises qui étaient précédemment transportées par voie routière ou qui ont une alternative routière de transport
• remarques : cette fiche complète les subventions proposées par VNF dans le cadre du Plan d’Aide au Report Modal (PARM) ; elle permet d’apporter un soutien financier au report modal de transports du mode routier vers le mode fluvial (elle exclut donc les transports fluviaux existants). Elle bénéficie aux chargeurs de tous secteurs d’activité. Elle concerne les contrats d’une durée minimale de trois mois (à l’exclusion des transports « spot »).
Les autres actions CEE : les programmes de transition énergétique financés par les CEE
Ce panorama des outils financés par les CEE en faveur du transport combiné ne saurait être complet sans évoquer aussi les programmes EVE, REMOVE, Appel d’aiR ainsi que le tout récent Savoir Le Fer.
• Le programme EVE (« Engagés Volontaires pour l’Environnement ») vise à accompagner les acteurs du transport et de la logistique dans la réduction de leur impact environnemental, notamment en termes de consommation énergétique et d’émissions de gaz à effet de serre. Créé en 2018, cet outil marque une étape dans la sensibilisation aux enjeux GES dans le monde du transport, en ce sens qu’il a été le premier à cibler les trois grandes catégories d’acteurs que sont les chargeurs (dispositif « Fret 21 »), les transporteurs (dispositif « Objectif CO2 ») et les commissionnaires de transport (dispositif « EVcom »). Ces entreprises s’engagent via un plan d’actions à réduire leurs émissions de GES sur 3 ans ; elles bénéficient à la clé d’outils opérationnels pour évaluer leurs émissions, d’une méthodologie éprouvée et d’un accompagnement personnalisé afin de suivre leurs progrès réalisés. A la mi-2024, plus de 3200 entreprises s’étaient engagées dans EVE depuis 2018, dont 2 600 transporteurs, 450 chargeurs et 150 commissionnaires de transport. La réduction moyenne obtenue par leurs actions était de 13%.
• Dans le sillage de ce succès, le programme REMOVE (« Report modal et Verdissement des flottes de transport »), initié en 2023, a pour ambition de créer une dynamique autour du report modal du transport routier de marchandises vers les modes massifiés ferroviaire, fluvial et le cabotage maritime et d’accélérer le verdissement des flottes de transport massifié et des engins de manutention associés. Déjà évoqué dans ces colonnes, REMOVE, auquel le GNTC est étroitement associé, se décline en deux dispositifs, REMO, pour accompagner chargeurs et transporteurs routiers dans leurs projets de report modal, et LOG-TE, pour accompagner les entreprises de transport massifié et de manutentions dans le verdissement de leurs engins.
• Porté par l’association AI Cargo, le programme Appel d’aiR a pour objectif de sensibiliser et d’accompagner les acteurs du secteur du transport et de la logistique à l’utilisation d’une solution numérique facilitant le report modal ferroviaire et fluvial du transport de marchandises. L’ambitieux objectif est d’identifier 2 milliards de tonnes-km de fret reportables de la route vers le fer et le fleuve. 730 entités (chargeurs, commissionnaires, transporteurs, opérateurs multimodaux, ESN, collectivités) ont déjà été sensibilisés à la nécessité de recourir au report modal. Parmi elles, 400 ont créé un compte sur cette plateforme numérique et gratuite et 170 entreprises sont à un niveau avancé de traitement de données, c’est-à-dire sont accompagnées par un bureau d’études qui les aide à ingérer et analyser leurs flux logistiques en vue de créer un plan de transport plus décarboné.
• Enfin, on peut mentionner le programme Savoir le Fer, dépendant du Programme CEE REMOVE, qui a été lancé à l’automne 2024 et se concentre sur la formation au transport ferroviaire, appelé à relever l’essentiel du défi du report modal (rappelons que les trois quarts du transport combiné en France s’effectue par ce mode, le dernier quart par le fluvial). Savoir le Fer est en effet assis sur le constat que le transport ferroviaire souffre encore d’une connaissance imparfaite dans l’univers de la supply chain, et que sa complexité technique, organisationnelle et sociale rebute encore certains acteurs. Aussi, il propose des journées de formation gratuites sur le fret ferroviaire, le transport combiné rail-route, le report modal et la décarbonation. Organisées en novembre et décembre derniers, les premières sessions ont rencontré un vif succès et devraient se déployer pleinement en 2025, à commencer par Marseille (21 janvier) et Perpignan (25 février).
Bilan et perspectives d’avenir
Au total de ce tour d’horizon, on voit la diversité et la complétude des outils CEE en faveur du transport combiné, qui sont autant d’opportunités pour celui-ci en dépit de l’apparente complexité du dispositif. C’est en ce sens qu’il faut lire le rapport de la Cour des Comptes réalisé en 2024 (après un précédent datant de 2013) et qui, loin de remettre en cause le principe fondamental des CEE ni sa mobilisation en faveur de la décarbonation des transports, ouvrait des pistes plutôt destinées à en accroître l’efficacité et la lisibilité. Il est possible que ces réflexions alimentent les travaux de structuration de la prochaine période, qui devrait voir le jour cette année pour les années de 2026 à 2030.
Webographie
Pour conclure ce Dossier du mois, quelques indications bibliographiques sur le web.
Retrouvez d’abord sur le site du GNTC notre page consacrée aux CEE, réalisée avec notre partenaire Hellio, et comprenant d’autres informations notamment sur les fiches CEE consacrées au transport routier.
Pour des informations générales sur les CEE et les différentes fiches CEE :
https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/operations-standardisees-deconomies-denergie
Pour des informations spécifiques des différents programmes et dispositifs évoqués dans ce dossier :